4.
Mais, direz-vous, puisque avant la grâce la tyrannie du péché était si grande, pourquoi les pécheurs étaient-ils punis ? Parce qu'on ne leur commandait que ce qu'ils pouvaient faire sous l'empire même du péché. En effet, Dieu n'exigeait pas d'eux une grande perfection ; il leur permettait l’usage des richesses, ne leur défendait pas d'avoir plusieurs femmes, tolérait la colère dans les limites de la justice, la jouissance des plaisirs modérés; sa condescendance allait jusqu'au point que la loi écrite était moins exigeante que la loi naturelle. En effet, la loi naturelle voulait qu'un homme n'eût jamais qu'une femme, ce que le Christ rappelle quand il dit : « Celui qui les créa au commencement, les fit mâle et femelle ». (Matth. XIX, 4.) Mais la loi de Moïse n'exigeait pas même qu'on renvoyât une première femme pour en prendre une seconde ; elle ne défendait point de les garder toutes les deux. Outre cela, nous voyons les anciens , instruits par la loi naturelle, faire encore, en d'autres points, beaucoup plus que ceux qui ont vécu sous la toi. On n'a donc pas eu de tort envers ceux-ci, puisque leur législation était si modérée. Donc s'ils n'ont pas pu vaincre, la faute en est à leur lâcheté. C'est pourquoi Paul rend grâces de ce que le Christ, laissant de côté toute enquête minutieuse , non-seulement n'a pas demandé compte des péchés passés, mais nous a rendus capables de courir dans une voie plus parfaite. Ce qui lui fait dire : « Je rends grâces à Dieu par Jésus-Christ ». Sans parler du salut, bienfait dont tout le monde convient, il passe de la question qu'il vient de traiter à une autre plus élevée, à savoir : que non-seulement nous sommés délivrés de nos péchés passés, mais que nous en sommes garantis pour l'avenir.
« Il n'y a donc pas maintenant de condamnation pour ceux qui sont en Jésus-Christ, qui ne marchent pas selon la chair ».(VIII, 1.) Il n'a dit cela qu'après avoir rappelé le premier état de choses. En effet, après avoir d'abord dit ; « Ainsi j'obéis moi-même par l'esprit à la loi de Dieu, et par la chair à la loi du péché », il ajoute : « Il n'y a donc pas de condamnation pour ceux qui sont en Jésus-Christ ». Puis, comme on pouvait objecter que beaucoup pèchent même après le baptême, il se hâte d'aborder ce point. Et il ne dit pas simplement : « A ceux qui sont en. « Jésus-Christ » ; mais : « A ceux qui ne marchent pas selon la chair », indiquant par là que tout le mal .qui se fait est l'effet de notre lâcheté; car il est possible maintenant de ne pas marcher selon la chair, mais alors c'était difficile. Il donne encore une autre preuve dans ce qui suit, quand il dit: « Car la loi de l'esprit de vie qui est dans le Christ Jésus m'a délivré... (2) » : donnant ici à l'esprit le nom de loi de l'Esprit: Comme il a appelé le péché loi de péché, ainsi il appelle l'esprit loi de l'Esprit. Or, il a aussi donné ce nom à la loi de Moïse, en disant : « Nous savons en effet que la loi est spirituelle ». Où est donc la différence? Elle est grande, elle est immense: l'une était spirituelle , et l'autre est la loi de l'Esprit. Et en quoi consiste cette différence? C'est que la première a été simplement donnée par l'Esprit, et que la seconde donne abondamment l'Esprit à ceux qui la reçoivent. Aussi l'appelle-t-il loi de vie, par opposition non à la loi mosaïque, mais à la loi du péché. En effet. quand il dit : « M'a délivré de la loi du péché et de la mort », il n'entend point parler de la loi de Moïse, vu que nulle part il ne l'a appelée loi de péché ; et comment pourrait-il lui donner ce nom, puisqu'il l'a déclarée juste, sainte, destructive du péché ? Celle qu'il désigne est donc celle qui combat la loi de l'Esprit. C'est la grâce de l'Esprit qui a mis fin à cette guerre terrible, en tuant le péché,en nous rendant le combat facile, en nous couronnant d'abord, et en nous provoquant à la lutte par des secours abondants.
Et ce qu'il fait toujours, eu passant du Fils (288) à l'Esprit, de l'Esprit au Fils et au Père, et en attribuant tout ce que nous avons à la Trinité, il le fait encore ici. Car, après avoir dit : « Qui me délivrera de ce corps de mort ? » il a montré que c'est-le Père. par le Fils , puis l'Esprit-Saint avec le Fils: « Car »,dit-il, «la loi de l'Esprit de vie qui est dans le Christ Jésus, m'a affranchi »; puis le Père et le Fils: « Car », dit-il encore, « ce qui était impossible à la loi, parce qu'elle était affaiblie par la chair, Dieu, envoyant son Fils dans une chair semblable à celle du péché, a condamné le péché dans la chair à cause du péché même (3) ». Une fois encore, il semble accuser la loi ; mais, si on y fait attention, il en fait un grand éloge, en montrant qu'elle est d'accord avec le Christ et impose les mêmes .commandements. Il ne dit pas : Ce qui était mauvais dans la loi, mais : « Ce qui était impossible sous la, loi » ; et encore : «.Parce qu'elle était affaiblie », mais non : Parce qu'elle faisait le mal, ni. Parce qu'elle tendait des pièges. Encore ce n'est pas même à elle qu'il impute sa faiblesse, mais à la chair , disant : « Parce qu'elle était affaiblie par la chair » ; et par chair ici il n'entend point la substance même et le sujet, mais le sens trop charnel; ainsi il justifie de toute accusation et le corps et la loi ; non-seulement par ce qu'il vient de dire, mais encore par ce qui suit.