1.
Tout ce passage est fort obscur; l'obscurité tient à l'ignorance où nous sommes des prodiges qu'on voyait alors, et qui n'arrivent plus aujourd'hui. Et pourquoi n'arrivent-ils plias aujourd'hui ? Voici que le besoin d'expliquer l'obscurité nous suggère une question nouvelle. Pourquoi ce qui arrivait alors, ne se présente-t-il plus aujourd'hui ? Remettons à un autre jour la dernière partie de la question. En attendant, disons ce qui se passait autrefois. Donc, autrefois qu'arrivait-il? Après le baptême, tout de suite, on parlait différentes langues, et il y avait plus que le don des langues; un grand nombre de personnes prophétisaient; quelques-unes manifestaient encore d'autres facultés puissantes. En effet, on venait de quitter les idoles, les nouveaux venus n'avaient aucune idée claire; ils n'avaient pas appris ce qui se trouve dans les anciens livres; alors, au moment du baptême, ils recevaient l'Esprit. L'Esprit, ils ne le voyaient pas, puisqu'il est invisible, mais la grâce donnait une preuve sensible de la merveilleuse opération. L'un parlait la langue des Perses; un autre, celle de Rome; un autre, celle des Indes; un autre encore, fane autre langue, et tout de suite ; et c'était, pour les hommes du dehors, la preuve que l'Esprit-Saint était dans celui qui parlait.
Voilà pourquoi l'apôtre, exprimant ce fait, dit : « La manifestation de l'Esprit a été don« née à chacun pour l'utilité ». Il donne ce nom de manifestation de l'Esprit aux dons et aux grâces spirituelles. Les apôtres, ayant reçu ce premier signe de la présenté de l'Esprit, les fidèles aussi reçurent le don des langues; et non-seulement ce don, mais d'autres encore, en très-grand nombre. Car beaucoup de personnes ressuscitaient les morts, et chassaient les démons, et opéraient encore beaucoup de miracles du même genre. Ils avaient donc tous leur part de ces dons ; les uns plus, les autres moins. Mais le don des langues était toujours le plus ordinaire.
Et ce fut ce don qui fut une cause de schisme à Corinthe, non par sa nature propre, (487) mais par l'ingratitude de ceux qui le recevaient. En effet, les mieux partagés devenaient superbes à l'égard de ceux qui l'étaient moins bien; ces derniers, à leur tour, s'affligeaient, portaient envie à ceux qui recevaient des dons plus magnifiques. C'est ce que montre Paul dans la suite de sa lettre; les fidèles recevaient un coup mortel, la charité s'éteignait; l'apôtre s'applique avec ardeur à corriger ce mal. Le même désordre eut lieu à Rome, mais y fut moins grand; aussi, dans l'épître aux Romains, l'apôtre touche ce point, mais d'une manière enveloppée, et sans y insister; il dit : «. Car, comme dans un seul corps nous avons plusieurs membres, et que tous ces membres n'ont pas la même fonction ; de même, quoique nous soyons plusieurs, nous ne «sommes néanmoins qu'un seul corps en Jésus-Christ, étant tous réciproquement membres les uns des autres. C'est pourquoi comme nous avons tous des dons différents, selon la grâce qui nous a été donnée, que celui qui a reçu le don de prophétie, en use selon l'analogie et la règle de la foi; que celui qui est appelé au ministère s'attache à son ministère; que celui qui a reçu le don d'enseigner s'applique à enseigner ». (Rom. XII, 4-7.) Que ce fut aussi pour eux une occasion de concevoir de l'orgueil, c'est ce que l'apôtre donnait à entendre dès le commencement par ces paroles : « Or, je vous exhorte a tous, selon le ministère qui m'a été donné a par grâce, de ne vous point élever au-delà de ce que vous devez, dans les sentiments que vous avez de vous-mêmes; mais de vous a tenir dans les bornes de la modération, selon la mesure du don de la foi que Dieu a départi à chacun de vous». (Ibid. 3.)
Voilà donc comment il parle aux Romains (chez eux la maladie de la discorde, la maladie de l'orgueil n'avait pas fait de grands ravages) mais ici, avec les Corinthiens, l'apôtre s'applique ardemment à la correction; la maladie avait fait de grands progrès. Et ce n'était pas, chez eux, la seule cause de trouble; il y avait aussi, dans ce pays-là, des devins en grand nombre; ce qui n'est pas étonnant dans une ville infectée des moeurs grecques et païennes; cette cause, ajoutée aux autres, les bouleversait, produisait mille chutes. Voilà pourquoi l'apôtre commence par établir la différence entre la divination et la prophétie. S'ils ont reçu le don de discernement des esprits, c'est pour pouvoir distinguer et reconnaître quel était celui qui parlait au nom de l'Esprit-Saint, quel autre parlait au nom de l'esprit impur. La démonstration de la vérité des prophéties ne pouvait pas se faire sur-le-champ; car ce n'est pas au moment où la prophétie est prononcée, mais au moment où elle doit se réaliser, que la prophétie fournit la preuve de sa vérité; il n'était donc pas facile de la reconnaître, de distinguer le prophète de l'imposteur. En effet, le démon, ce monstre de perfidie et d'impureté, suscitait de faux prophètes, ayant eux aussi la prétention d'annoncer l'avenir. Comme donc les fausses prophéties ne pouvaient être convaincues de fausseté, puisque les prédictions n'avaient pu encore se réaliser, la tromperie était facile, et le mensonge et la vérité ne se reconnaissaient qu'à la fin. Voilà pourquoi, pour prévenir l'erreur qui aurait trompé ceux qui entendaient les prophéties, avant le terme de leur accomplissement, l'apôtre donne un signe qui permette de distinguer, même avant l'événement, le vrai prophète de l'imposteur. C'est de là qu'il prend occasion de parler des faveurs de l'Esprit, et il corrige les querelles que ces faveurs ont suscitées.
C'est par les devins qu'il entre en matière, et il commence ainsi : « Pour ce qui est des dons spirituels, mes frères, je ne veux pas que vous ignoriez ce que vous devez savoir ». Il appelle ces signes « spirituels », parce que c'est le Saint-Esprit seul qui les opère , l'homme n'étant pour rien dans de pareils miracles. Et au moment d'engager la discussion, il commence, ainsi que je l'ai dit, par établir la différence entre la divination et la prophétie, par ces paroles : « Vous vous souvenez bien qu'étant païens, vous vous laissiez entraîner, selon qu'on vous menait vers les idoles muettes » ; voici la pensée de l'apôtre : Lorsque quelqu'un autrefois auprès des idoles était saisi de l'esprit impur, et parlait en devin de l'avenir; l'esprit impur se saisissait de lui, s'en rendait maître, le poussait et l'entraînait où il voulait, sans que cet homme sût ce qu'il disait. Car c'est là le propre du devin; il est hors de lui; c'est une violence qu'il subit ; on le pousse, on le traîne; il est comme un furieux dont on s'empare; pour le prophète, il n'en est pas ainsi. Calme, maître de sa pensée, parlant avec mesure, il a conscience de toutes ses paroles. (488) Vous pouvez donc, à ces marques, sans attendre l'événement, faire la distinction du devin et du prophète. Et voyez comment l'apôtre rend son discours non suspect; il appelle en témoignage ceux-mêmes que l'expérience a pu instruire; je ne mens pas, dit-il, je n'accuse pas au hasard les païens; je ne suis pas un ennemi qui forge des histoires ; soyez vous-mêmes mes témoins; car vous savez bien vous-mêmes qu'étant païens, vous vous laissiez entraîner. Si on soupçonne leur témoignage parce que ce sont des fidèles, eh bien ! l'emprunterai aux hommes qui sont hors de l'Église, un témoignage qui sera une preuve éclatante. Écoutez donc Platon qui dit formellement que les devins, et ceux qui rendent des oracles, disent souvent de fort belles choses, mais sans avoir conscience des paroles qu'ils prononcent. Écoutez aussi un autre poète faisant la même observation : Il s'agit d'un homme, qu'après certaines initiations et pratiques superstitieuses, on avait livré au démon; cet homme faisait entendre des prédictions, mais, dans tout le cours de ses prédictions, il était violemment renversé, déchiré, incapable de supporter la violence du démon; brisé, rompu, il allait rendre l'âme, il s'écrie, en s'adressant à ceux qui présidaient à cette magie :
Assez, car un mortel ne soutient pas un Dieu.
Et encore :
Assez, au lieu de fleurs épanchez l'onde pure
Sur mes pieds ; baignez-moi, rendez-moi ma nature.
Ces paroles et d'autres semblables (il en est un grand nombre que l'on pourrait citer) nous montrent deux choses à là fois : la nécessité, qui contraint les démons à la servitude ; la violence subie par ceux qui se sont une fois livrés au démon, et qui sont sortis de l'état naturel de. leur âme. Quant à la Pythie (je suis bien forcé d'étaler encore une autre honte des païens, il vaudrait mieux n'en pas parler; il est peu convenable, pour nous, de nous occuper de pareilles aberrations; il est pourtant nécessaire de mettre au jour ces infamies, afin de vous faire comprendre le délire de cette conduite, le ridicule de ceux qui ont recours aux devins) ; donc on rapporte que cette femme, la, Pythie, s'asseyait sur le trépied d'Apollon, les jambes écartées; ensuite l'esprit pervers, s'échappant de l'enfer, per genitales ejus partes subiens, la remplissait de son délire, et alors la malheureuse, les cheveux épars, comme une bacchante, écumait, et c'est dans cet état qu'elle faisait entendre les paroles de son ivresse furieuse; je sais bien que vous avez honte, que vous rougissez à de tels récits, mais voilà la haute sagesse de ces païens, cherchez-la dans ce honteux délire.