5.
Saint Paul loua la maison qu'il habitait à Rome. Cela n'a rien d'étonnant de la part d'un tel homme. Il ne consultait jamais la vanité, ce monstre cruel, cet affreux démon, ce fléau de l'univers, cette vipère gonflée de poisons. Semblable à la vipère qui déchire le ventre de sa mère, la vaine gloire blesse l'auteur de ses jours. Quel remède employer contre cette maladie si compliquée? Il n'y a qu'à se proposer pour modèles ceux qui ont foulé aux pieds le monstre, à se pénétrer de leur exemple et à se régler sur eux. Voyez le patriarche Abraham ! Et ici qu'on ne me reproche pas de reproduire le même exemple et de rappeler toujours ce saint homme.. Car c'est là surtout ce qui le rend admirable et ce qui ôte toute excuse à ceux qui ne l'imitent pas. Si l'on pouvait montrer en effet qu'il n'a eu qu'une qualité et que sur tel ou tel autre point il faut citer un autre modèle, que lui, on pourrait dire que la vertu est chose difficile; puisque chacun des saints n'a que telle ou telle qualité. Mais quand nous voyons Abraham réunir en lui seul toutes les qualités ensemble, comment excuser les hommes qui, après la grâce et depuis la loi nouvelle, ne peuvent atteindre à ce, degré de vertu où sont parvenus ceux qui ont vécu avant la loi nouvelle et avant la grâce. Eh bien ! comment ce patriarche s'y est-il pris pour vaincre le monstre , pour dompter la vanité, dans la contestation qui s'éleva entre lui et le fils de' son frère? Il avait été le plus mal partagé, il n'avait pas eu la première part et pourtant il ne s'en affligea pas. Or vous savez que dans ces sortes d'affaires, il y a une sorte d'humiliation encore pire que la perte, pour les petits esprits, surtout lorsque, comme Abraham, on s'est vu maître souverain et que l'on ne se voit pas honoré à son tour par celui que l'on avait commencé à honorer soi-même. Eh bien ! rien de tout cela ne le mordit au coeur. Il se contenta de la seconde part qui lui était échue. Outragé par un jeune homme, malgré son grand âge, outragé par le fils de son frère, sans s'irriter, sans s'aigrir, il continua à l'aimer, à veiller sur lui. Une autre fois, sorti vainqueur d'une grande et terrible guerre, après avoir, repoussé et battu les barbares, il ne triomphe pas, il n'élève pas de trophée. Il voulait se défendre et non se vanter. Il donne l'hospitalité à des étrangers, et cela sans vanité, allant à leur rencontre, les honorant comme s'il était non pas le bienfaiteur, mais l'obligé. Il leur donne le nom de maîtres, sans savoir quels sont ces étrangers, et il veut que sa femme les serve. Après avoir fait l'admiration de l'Egypte, quand, sa femme lui eut été rendue, il ne se vante pas, malgré les honneurs dont il s'est vu comblé. Pourtant les habitants de ce pays lui donnaient le nom de roi. Quand il chargea son serviteur d'amener à son fils la femme qu'il devait épouser, il ne lui enjoignit pas de parler de son maître avec orgueil et avec ostentation, il se borna à lui dire d'amener la fiancée. Voulez-vous (541) maintenant examiner les hommes, depuis l'an de grâce, à l'époque où ils s'abreuvaient aux sources d'une grande et glorieuse doctrine? Voulez-vous voir comment ce vice était aussi à cette époque repoussé et banni ?
Considérez l'auteur da cette épître. Voyez comme il rapporte tout à Dieu, comme il rappelle toujours ses péchés, sans être aussi assidu à rappeler ses bonnes actions. Si parfois, pour corriger ses disciples , il se voit forcé d'en faire mention , il traite ce sujet fort légèrement et cède le pas à Pierre. Il ne rougit pas de travailler de ses mains chez Aquilas et Priscille. (Act. XVIII.) Partout il s'efforce de s'humilier et de s'abaisser. On ne le voit pas traverser fièrement la place publique et s'entourer d'une foule de disciples. Partout il cherche à se perdre dans les rangs obscurs de la multitude. Voilà pourquoi il disait: lorsque Paul est présent, il paraît bas en sa personne (II Cor. X, 10), c'est-à-dire qu'il a l'air d'un homme qui ne mérite aucune attention, d'un homme sans faste. Et il dit encore : « Ce que nous demandons à Dieu, c'est que vous ne commettiez aucun mal, et non pas que nous paraissions ce que nous sommes ». (II Cor. XIII, 7.) Qu'y a-t-il d'étonnant, s'il méprise la fausse gloire? Ne méprise-t-il pas une gloire plus grande encore? Ne méprise-t-il pas la couronne céleste et la géhenne, pour plaire au Christ? Ne souhaite-t-i1 pas d'être anathème devant le Christ (Rom. IX, 3) « pour la gloire du Christ? » Tout en disant que c'est pour les Juifs qu'il veut souffrir, il déclare que c'est pour la gloire du Christ, afin que quelque insensé n'aille pas prendre pour lui les promesses qui leur sont faites. Si donc saint Paul était disposé à ne pas tenir compte de choses aussi importantes., comment pourrait-on s'étonner de son mépris pour les choses humaines ? Mais aujourd'hui, on ne résiste pas plus au mépris et à la crainte du déshonneur qu'à l'amour de la gloire. La louange nous gonfle, le blâme nous abat. Les coeurs pusillanimes et bas ressemblent aux organisations faibles; un rien suffit pour les ébranler. De telles âmes ne sont pas plus à l'épreuve de la richesse que de la pauvreté, et la joie a prise sur elles encore plus que la douleur. Car la pauvreté nous condamne du moins à la tempérance; la richesse au contraire amène souvent quelque grand naufrage. Voyez cet homme qui a la fièvre, tout le blesse, voyez cette âme corrompue dt dépravée, tout l'ébranle.