3.
Gardez-vous de croire qu'il suffise de sortir du corps : partout il est besoin de vertu. Quand l'apôtre parlait de la résurrection, il n'a pas voulu que ce mot nous inspirât trop de confiance, il disait: « Si cependant nous nous trouvons revêtus, et non pas nus ». De même quand il parle de la séparation de notre âme d'avec le corps, il ne veut pas que nous la regardions comme suffisante pour le salut, et il ajoute qu'il faut plaire à Dieu. Après les avoir ranimés parla vue de tarit d'objets magnifiques, il leur inspire de la crainte en leur mettant sous les, yeux des tableaux effrayants. Les avantages d'une vie vertueuse, c'est de mériter le bonheur et d'échapper aux. supplices, d'obtenir le royaume des cieux, et d'éviter les feux de l'enfer. Mais de ces deux avantages, le plus sensible, c'est d'échapper aux supplices. Quand toute la peine consiste dans une privation, la plupart s'y résignent volontiers; mais il en est autrement, quand il s'agit d'une souffrance positive; la privation elle-même devrait paraître insupportable; mais la faiblesse de notre nature, sa bassesse nous fait regarder les supplices comme bien plus1erribles. La vue des récompenses produisait moins d'effet sur le grand nombre que la menacé des supplices éternels: et c'est pourquoi l'apôtre conclut en disant : « Tous nous devons comparaître devant le tribunal du Christ ». Après avoir ainsi produit l'effroi dans les âmes, après les avoir ébranlées par la pensée de ce redoutable ; tribunal, il. ne Sépare point les menaces qui effraient des récompenses qui réjouissent, et il dit : «Afin que chacun rende compte de ses oeuvres bonnes ou mauvaises ». Il fait briller aux regards des justes et de ceux qui sont persécutés des récompenses bien capables de soutenir leur ardeur, et il fait retentir aux oreilles des pécheurs des menaces bien propres à les tirer de leur négligence, et enfin il donne une preuve de la résurrection des corps. Le corps, en effet, a prêté son ministère pour le bien et pour le mal , il doit donc partager le sort de l'âme : avec elle il doit être puni, avec elle il doit être couronné.
Certains hérétiques prétendent que nous ressusciterons avec un Corps différent de celui que nous avons eu sur la terre. — Pourquoi donc, je vous le demande? Notre corps a péché ; c'est. un autre qui subira, la peine ! Notre corps a fait le bien, c'est un autre qui recevra la couronne ! Qu'avez-vous à répliquer à ces mots de l'apôtre : « Nous ne voulons pas être dépouillés, mais recevoir un vêtement plus précieux? ». — Comment donc ce qui est corruptible peut-il être absorbé par la vie? Saint Paul n'a pas dit : « Afin que le corps mortel (69) ou corruptible soit absorbé par un corps in« corruptible » ; mais afin que « la corruption a soit absorbée par la vie » . C'est ce qui arrive, lorsque le même corps que nous avions reprend une vie nouvelle. Mais si nous ressuscitons avec un autre corps; ce n'est plus la corruption qui est absorbée; au contraire, elle demeure, elle triomphe. Or , ce n'est pas ce qui doit avoir lieu : il faut que ce qui est corruptible, c'est-à-dire le corps, revête l'immortalité. Le corps est au milieu: maintenant sujet à la corruption, plus tard il, doit ressusciter incorruptible. Il est d'abord corruptible : s'il était incorruptible, il ne pourrait être détruit : « La corruption », dit l'apôtre, « ne peut avoir a en partage l'incorruptibilité ». (I Cor.XV, 50). Comment en effet cela serait-il possible? Mais au contraire la corruption sera absorbée par la vie. La vie. triomphe de la corruption, mais la corruption fie saurait triompher de la vie. De même que la cire fond devant le feu et non point le feu devant la cire; de même la corruption est consumée par l'immortalité et disparaît; mais elle ne saurait elle-même triompher de l'immortalité.
Prêtons donc l'oreille à la voix de l'apôtre qui nous dit : « Il nous faudra paraître devant le tribunal du Christ » ; représentons-nous ce tribunal, supposons qu'il est déjà dresse et qu'on nous demande compté de nos actions: Mais je veux moi-même entrer dans quelques détails. Saint Paul venait de parler de tribulations, et il ne voulait pas contrister encore les Corinthiens. C'est pourquoi il n'insiste pas sur le jugement dernier, et se contente de ces quelques mots : « Chacun rendra compte de ses actions ». Puis il passe à une autre pensée. Supposons donc que ce dernier jour est arrivé. Examinons notre conscience, songeons que nous sommés aux pieds de notre juge, que toutes nos actions sont dévoilées et produites au grand jour. Car non-seulement nous comparaîtrons, mais encore notre âme sera mise à découvert. Vous rougissez, vous êtes hors de vous-mêmes ! Cependant ce n'est là qu'une supposition, qu'une fiction de notre esprit; et la vue de notre conscience nous effraie. Que ferons-nous donc, quand ce jour arrivera, quand tout l'univers sera rassemblé, quand nous apercevrons les anges. et les archanges, quand nous serons témoins de cet immense concours, quand nous verrons les saints emportés sur les nuages, quand nous aurons devant nous cette multitude saisie de terreur, quand nous entendrons le son bruyant des trompettes, et ces cris sans cesse répétés? N'y eût-il point d'enfer, quel affreux supplice déjà quo de se voir repoussé avec tant d'éclat, et de se retirer couvert de confusion ! Quand l'empereur entre dans une ville, nous sentons même notre misère, et le spectacle que nous avons sous les yeux nous cause moins de joie que nous n'éprouvons de chagrin, de ne pas avoir part à tant de magnificence et de ne pas approcher du souverain. Que sera-ce donc au jour du jugement? Quel supplice de n'être pas admis dans le choeur des bienheureux, de ne point partager cette gloire ineffable, d'être repoussé bien loin de cette brillanté assemblée, de ces biens que nul langage ne saurait exprimer ! Mais songea ensuite à ces ténèbres, à ce grincement de dents, à ces chaînes indissolubles, à ce ver qui ne meurt point, à ce feu qui ne s’éteindra point; à ces horribles souffrances, à ces angoissés , à ce feu qui dévore la langue, comme il. dévorait celle du mauvais riche; à ces hurlements, que personne n'entend, à ces cris de désespoir, à ces rugissements, arrachés par la douleur, sans que personne y prenne garde, sans que personne ne vienne nous soulager que dire de pareilles tortures? Quoi de plus malheureux que les âmes des damnés? Y a-t-il spectacle plus lamentable?