3.
A quelle hauteur il. porte cette mission dont il est chargé ! C'est le Christ lui-même qui supplie dans l'apôtre. Et non-seulement Jésus-Christ, mais Dieu le Père. Car voici le sens de ces paroles : Le Père a envoyé son Fils pour, exhorter les hommes en son nom et pour remplir auprès d'eux les fonctions d'ambassadeur. Les hommes l'ont fait mourir; il a quitté ce monde , et nous lui avons succédé dans sa mission. C'est donc en son nom et en celui de son -Père que nous vous exhortons. Le père aime le genre humain à ce point qu'il a livré son propre Fils, sachant bien que les hommes le feraient mourir, et qu'il nous a faits ses apôtres à cause de vous. L'apôtre pouvait donc bien dire : « Tout est pour vous. Nous sommes les ambassadeurs du Christ ». Comme s'il disait : Nous tenons la place du Christ, nous lui avons succédé dans sa mission. Cela vous semble peut-être bien extraordinaire: Ecoutez ce qui suit, vous verrez que les apôtres tiennent la place non-seulement du Christ, mais aussi du Père. Saint Paul ajoute en effet : « C'est Dieu qui vous exhorte par notre bouche ». Ce n'est point seulement par son Fils que le Père vous exhorte, mais encore par nous qui avons pris la place de son Fils. Ne vous imaginez donc point que c'est nous qui vous prions. C'est le Christ lui-même, c'est son Père qui vous prie par notre bouche. Est-il rien de comparable à une pareille bonté? Ce Père dont on a payé les immenses bienfaits par tant d'outrages, non-seulement ne se venge point, mais il. donne son Fils pour nous réconcilier avec lui. Loin de vouloir se réconcilier, les hommes le font mourir. Il envoie d'autres ambassadeurs, et après les avoir envoyés,.il se fait lui-même suppliant en leurs personnes.. Et que demande-t- il? « Réconciliez-vous avec Dieu ». Il ne dit pas : Réconciliez Dieu. avec vous: Ce n'est pas lui qui nous hait, c'est vous qui voulez être. ses ennemis. Dieu éprouve-t-il jamais un sentiment de haine? Et il discute la cause, comme ferait un ambassadeur.— « Celui qui m'a point connu le péché, il l'a fait péché à cause de nous ». Je ne rappelle point le passé, vos outrages envers moi, qui ne vous ai jamais tait de mal, mes bienfaits si nombreux ; je ne vous dirai point que je ne vous ai point punis, que bien (75) qu'outragé le premier, je suis cependant le premier à vous prier. Non, je ne veux rien rappeler de tout cela. Ne suffit-il pas du bienfait qu'il-vous accorde aujourd'hui pour vous décider à une réconciliation? Quel est-il donc, ce bienfait? «Celui qui n'a point connu le péché, pour vous il l'a fait péché... (21) ». Ne vous aurait-il jamais accordé d'autres faveurs, n'était-ce pas une faveur immense que de livrer son Fils pour ceux qui l'avaient outragé? Oui, il l'a donné, et ce n'est pas assez, il a permis que ce Fils, l'innocence même, fût accablé d'outrages pour ceux-mêmes qui les lui infligeaient. — Ce ne sont point les paroles de l'apôtre; elles sont encore plus expressives. « Celui », dit-il, « qui ne connaissait point le péché ; qui était la justice même, « il l'a fait péché », c'est-à-dire, il l'a laissé condamner comme un pécheur, mourir comme un homme chargé de malédictions : « Car maudit est celui qui est pendu au bois». (Deut. XXI, 23.) Une mort ordinaire n'était rien en comparaison de cette mort si atroce. Et c'est ce que saint Paul nous donne à entendre, quand il dit : « S'étant fait obéissant jusqu'à la mort et à la mort de la croix ». (Phil. II, 8.) Il y avait là non-seulement le supplice, mais l'ignominie. Voyez donc que de bienfaits vous avez reçus ! C'est chose admirable qu'un pécheur consente à mourir pour un autre quel qu'il soit; mais quand c'est un juste qui meurt, et qui meurt pour des pécheurs , et qui meurt comme un maudit et pour nous mériter des faveurs auxquelles nous ne pouvions prétendre (afin que par lui nous devenions justes de la justice de Dieu), comment dire, comment peindre tant de générosité? Celui qui était juste, dit l'apôtre, il l'a fait pécheur, afin de justifier les pécheurs. Et ce n'est pas même ainsi qu'il parle; il tient un langage plus sublime encore; ce n'est point l'état qu'il exprime, mais la qualité elle-même. Il ne dit pas : il l'a fait pécheur, mais : « il l'a fait péché » ; il ne dit pas : celui qui n'a point péché, mais celui qui n'a point connu le péché; il ne dit pas : afin que nous devenions justes, mais afin que nous devenions à la justice »,. et même « la justice de Dieu ». C'est en effet la justice de Dieu, quand elle ne vient point des oeuvres, quand elle n'est ternie d'aucune tache, niais bien le fruit de la grâce qui fait disparaître toute imperfection. De telles expressions ne nous permettent point de nous enorgueillir : car c'est de Dieu que nous vient ce trésor, et nous apprenons ainsi à connaître la puissance de notre bienfaiteur. La loi et les oeuvres produisaient « simplement la justice»; celle dont parle l'apôtre est. « la justice de Dieu». Pénétrons-nous bien de ces pensées, et qu'elles nous. effraient plus que la vue même de l'enfer; admirons de tels objets plus que le royaume des cieux; et regardons comme une peine non d'être châtiés, mais de tomber dans le péché. Si Dieu ne nous châtiait pas lui-même, nous devrions nous imposer à nous-mêmes un châtiment, après nous .être montrés ingrats envers un tel bienfaiteur. Que de fois un amant passionné ne s'est-il point donné la mort, parce qu'il n'a pu assouvir sa passion? et après l'avoir assouvie, que de fois ne s'est-il pas jugé indigne de vivre pour avoir outragé son amante.? Et nous qui. avons offensé un Dieu si bon, si miséricordieux, nous ne nous précipiterons pas dans le feu de l'enfer? Ce que je vais dire paraîtra singulier, étrange, incroyable à la plupart : Celui qui sera puni après avoir outragé un maître si plein de bonté, devra s'estimer plus heureux, s'il est raisonnable, et s'il aime Dieu, que celui qui n'aura pas été puni.