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Quelle aumône y a-t-il donc, à vous couvrir vous et lui de déshonneur, et à déshonorer aussi Celui qui. vous a prescrit de faire l'aumône ? Vous ne vous contentez point d'avoir Dieu pour spectateur,: vous voulez pour témoins vos semblables, et vous violez ainsi la loi qui vous le défend ! J'aurais voulu parler aussi d'autres actes de piété, du jeûne et de la prière, par exemple, et vous montrer comment la vaine gloire leur enlève aussi tout leur mérite; mais je me souviens que , dans notre dernier entretien je n'ai pas développé. suffisamment ma pensée. De quoi s'agissait-il? Je vous disais que les pauvres, même dans les choses temporelles, sont plus heureux que les riches; et je. parlais de santé et de plaisir. Je vous en ai donné des preuves bien évidentes. Aujourd'hui montrons qu'ils ont l'avantage, non pas seulement dans les choses temporelles, mais encore dans les biens surnaturels. Est-ce l'opulence, est-ce la pauvreté qui ouvre les portes du ciel? Ecoutez le Roi des cieux lui-même : « Il est plus aisé, » dit-il, « à un chameau de passer par le trou d'une aiguille, qu'au riche d'entrer dans le royaume des cieux ». Voilà pour les riches. Voici maintenant ce qu'il dit des pauvres : « Si vous voulez être parfait, vendez ce que vous avez et donnez-le aux pauvres. Venez, suivez-moi, et vous aurez un trésor dans les cieux ». Portez maintenant vôtre attention sur cette autre pensée : « Il est resserré et étroit, » dit l'Écriture, « le chemin qui conduit à la vie ». (Matth. XIX, 24, et VII, 14.) Quel est donc celui qui. marche par cet,étroit chemin, est-ce l'homme qui vit dans les délices, ou celui qui est dans l’indigence? Est-ce celui qui est seul, ou celui qui porte d'énormes fardeaux? Celui qui mène une vie molle et dissolue, ou bien celui qu'accablent les soucis et les inquiétudes? Mais pourquoi tant de paroles quand nous pouvons citer des exemples ?
Lazare était pauvre, très-pauvre; il était riche au contraire celui qui passait sans daigner jeter un regard sur le pauvre couché devant sa porte. Lequel est entré dans le royaume des cieux, lequel se repose maintenant dans le sein d'Abraham ? Qui des deux est dévoré par les flammes, sans pouvoir obtenir même une goutte d'eau ? Mais, dites-vous, la plupart des pauvres périront; et bien des riches, au contraire, jouiront de ces biens mystérieux. — Non, vous verrez au contraire que peu de riches sont sauvés, et qu'un bien plus grand nombre de pauvres opèrent leur salut. Considérez d'une part l'embarras des richesses, et de l'autre les inconvénients de la pauvreté. Ou plutôt ce ne sont les inconvénients ni des richesses, ni de la pauvreté; ces inconvénients sont inhérents aux personnes elles-mêmes. Voyons cependant si ce sont les richesses ou la pauvreté qui offrent le plus de ressources. Quels vices entraîne donc la pauvreté ? — Le mensonge. — Et quels vices entraînent les richesses ? L'orgueil, père de tous les (89) maux, qui a fait le diable ce qu'il est depuis sa chute. Une autre racine des maux, c'est l'avarice, et où se trouve-t-elle d'ordinaire ? Est-ce chez le riche ou chez le pauvre? Chez le riche, sans aucun doute. Plus on a de richesses, en effet, plus on veut en avoir. Après ces deux vices, vient la vaine gloire, qui ruine un si grand nombre de vertus. Et combien le riche n'est-il pas exposé à la vaine gloire !
Mais vous ne dites rien des inconvénients de la pauvreté? Vous ne parlez ni de l'affliction ni des angoisses qui en sont les conséquences. — Mais le riche n'en est pas exempt; au con-, traire, il y est sujet plus encore que le pauvre. Ainsi donc les. inconvénients qui semblent être le partage du pauvre, se font sentir tout aussi bien au riche; et les inconvénients des richesses sont le partage exclusif de celui qui les possède. — Mais, direz-vous encore, la misère du pauvre lui fait commettre, bien des crimes? —Eh bien ! il n'est point de pauvre qui par suite de ses besoins commette autant de crimes que les riches pour ne rien, perdre de leurs immenses richesses. Le pauvre désire-t-il le nécessaire avec autant d'avidité que le riche désire le superflu? A-t-il autant de moyens d'exercer sa scélératesse? Le riche qui désire davantage et qui peut davantage, accomplira, donc bien . évidemment plus d'actions criminelles. Le pauvre redoute moins la faim que le riche ne tremble de perdre ses biens, qu'il ne se désole de ne point posséder à lui seul toutes les richesses. Exposé, comme il l'est à la vaine gloire, à l'orgueil, à l'avarice, source de tous les maux, quel espoir de salut lui reste-t-il, s'il ne fait preuve d'une sagesse supérieure? Comment pourra-t-il marcher dans la voie étroite? Puisqu'il en est ainsi, ne nous en tenons plus à l'opinion du vulgaire, voyons les choses en elles-mêmes. Quand il s'agit d'une somme d'argent, nous ne nous en rapportons pas à d'autres, nous voulons compter nous-mêmes; s'agit-il au contraire de trancher une question, vite nous nous laissons entraîner par l'opinion , quand cependant nous avons une balance, fine règle certaine, la parole de Dieu lui-même. Quoi de plus absurde? Je vous en conjure donc, ne, vous occupez point de ce que pense celui-ci ou celui-là; consultez les saintes Ecritures; apprenez d'elles quelles sont les vraies richesses, puis mettez toute votre ardeur à les rechercher, afin de jouir des biens éternels. Puissions-nous tous y parvenir par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ auquel, avec le Père et le Saint-Esprit, gloire, honneur, puissance , maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.