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Il y a encore une autre espèce de commandement, d'un ordre plus élevé que le commandement politique. Quel est-il donc? C'est le pouvoir ecclésiastique. Saint Paul en fait mention, quand il dit : « Obéissez à ceux qui sont à votre tête; soyez-leur soumis : ils sont pleins de vigilance, comme devant rendre compte de vos âmes ». (Hébr. XIII, 17.) Autant le ciel est au-dessus de la terre, autant ce pouvoir de l'Eglise est au-dessus du pouvoir politique; et je ne dis pas assez encore. Le pouvoir ecclésiastique s'occupe- moins de punir les crimes que de les prévenir; quand ils ont été commis, il ne cherche pas à faire périr le malade, mais à guérir la maladie. Il s'occupe peu des choses de ce monde; il a toujours en vue le ciel : « Notre conversation est dans les cieux » (Phil. III, 20), dit l'apôtre, et notre vie aussi. «En effet », dit-il, « elle est cachée en Dieu avec Jésus-Christ ». (Coloss. III, 3.) C'est dans le ciel que se trouve la récompense, et on court dans le stade pour mériter des couronnes toutes célestes. La vie chrétienne ne finit point avec la mort; la mort lui donne un nouvel éclat. Ainsi donc ceux qui sont investis de ce pouvoir, sont plus honorés que les chefs de provinces, que les rois eux-mêmes, puisque l'objet de leur charge est plus élevé, puisqu'ils préparent les hommes à de plus grands avantages.
Mais ni les chefs politiques, ni les supérieurs ecclésiastiques, ne pourront s'acquitter dignement de leurs fonctions , sans se commander d'abord à eux-mêmes, et sans observer scrupuleusement les lois de l'Etat et de l'Eglise. S'il y a deux espèces de pouvoirs publics, il y a aussc deux sortes d'empire à exercer sur soi-même. Et ici encore l'empire spirituel l'emporte sur l'empire temporel, comme nous l'avons démontré. Certains arts exercent aussi une espèce d'empire; l'art du laboureur, par exemple. Le laboureur n'est pas comme préposé aux plantes. Il les taille, il en arrête la croissance; ou bien il en hâte le développement parla culture. Il imite en cela la conduite des meilleurs princes, qui punissent, qui font mourir les criminels, ces hommes dangereux pour la société, et qui comblent d'honneur las gens de bien. C'est pourquoi l'Ecriture compare à des vignerons ceux qui commandent aux autres. Les plantes, il est vrai, ne se plaignent pas comme ceux qui dans les cités reçoivent quelque injure; mais leur aspect montre le mal qu'elles éprouvent des mauvaises herbes qui les étreignent. Les lois répriment la méchanceté ; de même aussi l'art du laboureur corrige les vices du sol et la mauvaise nature, la nature sauvage des plantes. Les plantes nous offrent l'image de nos moeurs; nous y retrouvons l'âpreté, la mollesse, la timidité, l'audace, l'inconstance; nous y voyons certains rameaux se nourrir, se développer aux dépens des autres, et d'autres par là même se sécher et périr. C'est une haie qui nuit aux plantes du voisinage, ce sont des arbres stériles et sauvages , dont l'ombrage nuit aux arbres du voisinage. Les préfets et les empereurs voient leur autorité menacée et battue en brèche ; et le laboureur n'a-t-il pas à redouter les incursions des bêtes féroces, l'intempérie des saisons, la rouille, la grêle, la sécheresse, et d'autres fléaux. Tout cela arrive pour que vous mettiez toujours votre espérance dans le Seigneur.
Le travail de l'homme est pour beaucoup dans les autres arts; l'agriculture doit mettre surtout en Dieu son espérance ; c'est de lui que dépend toute sa richesse. Sans doute elle (99) a besoin des pluies, d'un temps favorable; mais ce qu'elle requiert avant tout, ce sont les soins de la Providence : « Car ni celui qui plante, ni celui qui arrose, ne sont rien; c'est Dieu qui donne l'accroissement ». (I Cor. III, 7.) Là encore il y a vie et mort, il y a enfantement laborieux, comme dans l'espèce humaine. On arrache les arbres, ils portent des fruits, ils meurent; et la mort est suivie d'une résurrection; en sorte que la terre elle-même nous prêche de mille manières la résurrection de nos corps. Quand la racine porte des fruits, quand elle produit des semences, n'est-ce pas là une résurrection ? Une étude approfondie de cet art y découvre partout la Providence et la sagesse de Dieu. Mais, pour revenir à notre sujet, le pouvoir de l'agriculture a pour objet la terre et ses plantes; le nôtre a pour objet les âmes. Quelle distance des plantes aux âmes ! Combien par conséquent l'un de ces pouvoirs ' est supérieur à l'autre ! Autant il vaut mieux commander à des êtres qui consentent qu'à des créatures qui s'y soumettent par force , autant ceux qui commandent dans l'Église l'emportent sur les chefs de la société civile. Le commandement ecclésiastique est vraiment celui qui convient à notre nature. Hors de. l'Église, c'est la crainte et la nécessité qui déterminent à agir; dans l'Église, on fait le bien librement et sans contrainte. Ce n'est pas seulement par là que le gouvernement ecclésiastique vaut mieux que le gouvernement politique; on peut dire encore que c'est moins un gouvernement qu'une paternité. Il commande avec une douceur toute paternelle; et tout en prescrivant de plus grandes choses, il n'emploie que la persuasion. Le prince dit : « Si vous commettez un adultère, c'en est fait de vous ». Le gouvernement ecclésiastique va jusqu'à vous menacer de peines très-graves, si vous portez sur une femme des regards immodestes. Le tribunal de l'Église est un tribunal auguste, qui n'atteint pas seulement le corps, mais aussi l'âme elle-même.