2.
Voyez-vous maintenant comment les Manichéens ne reculent devant aucune affirmation dans leur confiance en leurs propres lumières? Dieu. dit-on , n'aurait pu créer le monde sans matière. Qu'est-ce qui le prouve ? Des arguments puisés ici-bas, sur la terre, en nous-mêmes. En effet, dit-on , l'homme ne peut rien faire qu'à cette condition. Et Marcion, voyez-vous comment il parle : Dieu ne pouvait conserver sa pureté en se revêtant de chair. Qu'est ce qui le prouve? C'est que les hommes ne le peuvent pas, répond-il : or, cela même est une fausseté. Valentin aussi rampe (562) sur la terre, en parle le langage : de même Paul de Samosate et Arius. Que prétend celui-ci? Que Dieu ne pouvait engendrer en restant impassible. Qu'est-ce qui t'autorise à tenir ce langage, ô Arius? Ce qui se passe ici-bas. Voyez-vous comme les pensées de tous ces hommes sont basses, rampantes, inspirées de la terre? Voilà pour les dogmes. En ce qui regarde la vie maintenant, les fornicateurs, les avares, les amants de la gloire, que sais-je encore? portent également une robe qui traîne à terre : ils n'ont pas cette solidité 'de reins qui permet, de se reposer quand on est las : dès qu'ils sont fatigués, au lieu d'appuyer les mains sur leurs reins pour se raffermir, ils succombent à la lassitude. C'est le contraire pour celui qui est ceint de vérité; d'abord, il ne se lassera jamais : en second lieu, même s'il se lasse, il trouvera dans la vérité même un point d'appui pour se reposer. Dites-moi, en effet : est-ce la pauvreté qui le fatiguera? nullement. Car il se repose sur la vraie richesse, et par la pauvreté il connaîtra la pauvreté véritable. La servitude le fatiguera-t-elle davantage? Nullement : car il connaît la vraie. servitude. Sera-ce la maladie? Pus davantage: « Ceignez vos reins, dit le Christ, et ayez dans vos mains les lampes allumées » (Luc, XII, 35); de sorte qu'ils jouissent de la lumière inextinguible. Les Israélites reçurent le même ordre à la sortie d'Egypte, et ils étaient ceints en mangeant la pâque.
Et pourquoi, dira-t-on, mangèrent-ils ainsi? Voulez-vous en savoir la raison historique ou la raison anagogique? Je vous les dirai l'une et l'autre : retenez-les : car je ne me propose pas seulement de vous expliquer l'énigme, je veux encore que mes paroles profitent à votre conduite. « Ils étaient ceints, dit l'Ecriture, le bâton à la main , les chaussures aux pieds, et c'est ainsi qu'ils mangeaient la pâque ». (Exod. XII, 11.) Mystère redoutable,. profond, sublime. Que s'il était tel en figure, à plus forte raison l'est-il en vérité. Ils sortent d'Egypte: ils mangent la pâque. Voyez, leur costume est un habit de voyage , des chaussures, le bâton à la main, manger debout : tout cela n'a pas d'autre sens. Voulez-vous que je commence par l'histoire ou par l’anagogie ? Par l'histoire, cela vaut mieux. Que signifie donc l'histoire ?
Les Juifs étaient ingrats, ils ne cessaient d'oublier les bienfaits de Dieu. Voulant donc leur rendre la mémoire en dépit d'eux-mêmes, il institue ce rite pour le banquet de la pâque. Pourquoi ? Afin qu'obligés chaque année d'observer cette loi, ils se souvinssent nécessairement du Dieu qui les avait délivrés. Ce n'est donc pas seulement par un anniversaire que Dieu a voulu perpétuer le souvenir de ses bienfaits, mais encore par le costume prescrit aux convives. Car s'ils sont chaussés et ceints pour manger, c'est afin qu'ils puissent répondre, si on les interroge : Nous étions prêts pour le départ; nous allions quitter l'Egypte pour la Terre promise. Voilà l'histoire: voici maintenant la vérité. Nous aussi nous mangeons une pâque , laquelle est le Christ « Notre pâque , le Christ a été immolé » (I Corinth. V, 7.) Ainsi donc nous mangeons une pâque, nous aussi, et une pâque bien supérieure à celle dont parlait la Loi. Donc nous devons aussi être chaussés, et ceints pour manger. Pourquoi ? afin que nous soyons prêts, nous aussi pour le départ, pour la sortie d'ici-bas. Ce n'est pas à l'Egypte qu'il faut songer quand on manne cette pâque, c'est au ciel, à la Jérusalem d'en-haut. Si vous êtes ceint et chaussé pour manger, c'est afin que vous sachiez qu'au moment où vous commencez à manger la pâque, vous êtes destiné à une émigration, à un voyage. Deux choses sont indiquées par là. : la. première, c'est qu'il faut sortir d'Egypte; la seconde; c'est que ceux qui restent, y sont désormais comme eau pays étrangers : « Notre cité est dans les cieux, est-il écrit». (Philipp. III, 20). C'est que nous devons toujours être préparés, de sorte que, si l'on nous appelle, nous ne cherchions pas à gagner du temps, et que nous disions : « Notre coeur est prêt ». (Ps. CVII, 2.) Mais si Paul pouvait dire cela , lui à qui sa conscience ne reprochait rien, moi qui ai besoin de bien du temps pour me repentir, je ne saurais le dire. Néanmoins, la preuve qu'il est d'une âme vigilante de rester ceinte, elle se trouve dans les paroles de Dieu à un juste fameux: « Non, mais ceins tes reins comme un homme : je t'interrogerai; toi, réponds-moi ». (Job. XXXVIII, 3.)
Il dit la même chose à tous les saints, la même chose à Moïse : et lui-même se montre ceint dans Ezéchiel. Que dis-je? les anges mêmes nous apparaissent ceints comme étant des soldats... Quand on est ceint, on se tient ferme ; et ceux qui sont fermes se ceignent. (563) Ceignons-nous donc: car, nous aussi, nous devons faire un voyage, et la route est hérissée d'obstacles. — Quand nous traversons cette plaine, le diable accourt aussitôt; il ne néglige aucun moyen , aucune ruse , pour surprendre, pour exterminer ceux qui sont sortis d'Egypte, ceux qui out, traversé la mer Rouge, ceux qui viennent d'échapper à la fois aux démons et au déchaînement de mille fléaux. Mais, si nous sommes sages, nous avons, nous aussi, une colombe de feu dans la grâce de l'Esprit . le même foyer nous donne la lumière et l'ombre. Nous avons une manne, ou plutôt , quelque chose de bien plus précieux que la manne : ce n'est pas de l'eau, c'est une boisson spirituelle qui jaillit pour nous du rocher. Nous avons de même un camp, dans ce nouveau désert que nous habitons. Car c'est vraiment un désert que la terre ; l'absence de vertu en fait une solitude bien plus affreuse que l'autre. Pourquoi. cette autre était-elle un objet de crainte? n'est-ce point parce qu'elle renfermait des scorpions et des vipères? « L'homme n'y avait point passé ». Mais plus stérile encore est la nature humaine.
