4.
Rappelez-vous les paroles que votre bouche a proférées; de quels aliments se nourrit-elle, quel est le festin qui l'attire, le mets qui calme sa faim? Vous croyez ne faire aucun mal en accusant votre frère? Comment donc le nommez-vous votre frère? Et s'il qe l'est pas, comment dites-vous : «Notre Père »; car ce mot « Notre » atteste qu'il s'agit de plusieurs personnes. Songez auprès de qui vous vous trouvez au temps des mystères : avec les chérubins, avec les séraphins. Les séraphins ne disent point d'injures : leur bouche ne remplit qu'une seule fonction : glorifier, louer Dieu. Comment donc pouvez-vous dire avec eux : « Saint, saint, saint», après avoir abusé de votre bouche pour l'injure? Dites-moi, supposez un vase royal, toujours plein d'aliments royaux, et mis en réserve pour cet usage; qu'ensuite un des serviteurs s'en serve pour y déposer des immondices : osera-t-il ensuite replacer avec les autres vases mis en réserve celui qu'il aura profané de la sorte? Nullement. Eh bien ! voilà la médisance, voilà l'insulte.
« Notre Père ». Eh bien ! est-ce tout ? Ecoutez la suite: « Qui êtes aux cieux ». A peine avez-vous dit : « Notre Père qui êtes aux « cieux » : cette parole vous a relevés, vous a donné des ailes, vous a fait voir que vous avez un Père dans les cieux. Que vos actions, vos discours, ne soient plus de la terre. Vous voilà établis là-haut, agrégés au choeur céleste, pourquoi redescendre volontairement? Vous êtes debout auprès du trône royal, et vous injuriez, et vous ne craignez pas que le roi ne s'en trouve offensé. Si pourtant un de nos serviteurs, en notre présence, s'avise de frapper ou d'injurier, même justement, son compagnon, nous le réprimandons aussi, nous trouvant nous-mêmes offensés: et vous qui êtes debout avec les chérubins auprès du trône royal, vous insultez votre frère? Vous voyez ces vases sacrés? n'ont-ils pas toujours le même usage? (514) Qui oserait les faire servir à autre chose ? Vous, vous êtes plus sacrés, bien plus sacrés que ces vases : pourquoi donc vous souiller, vous avilir? Vous êtes dans les cieux, et vous injuriez? Vous vivez avec les anges, et vous injuriez? Vous avez été jugés dignes du baiser du Seigneur, et vous injuriez ? Dieu a donné à votre bouche une magnifique parure : des hymnes angéliques, une nourriture plus qu'angélique, le baiser de ses propres lèvres, ses propres embrassements, et vous injuriez? Ne faites pas cela, je vous en conjure. C'est la source de grands maux, c'est un objet d'aversion pour une âme chrétienne.
Nos paroles ne vous persuadent pas, ne vous font pas rentrer en vous-mêmes? Il faut donc vous effrayer : écoutez ce que dit le Christ : « Celui qui aura dit à son frère, fou, sera soumis à la géhenne du feu ». Si une simple étourderie a pour conséquence la géhenne, quel tourment n'encourra pas l'insolence? Habituons notre bouche à la retenue : la retenue nous attire de grands bénéfices, l'emportement de grands dommages : et il n'est pas ici besoin de dépense. Fermons la porte, tirons le verrou; soyons pénétrés de componction, si jamais une parole violente s'est échappée de nos lèvres ; prions Dieu, prions l'offensé; ne croyons pas en cela nous abaisser : c'est nous que nous avons frappés, et non pas autrui. Comme remède, usons de la prière et de la réconciliation avec l'offensé. Si nous veillons ainsi sur nos paroles, à plus forte raison devrons-nous régler pareillement nos actions. Entendons-nous nos amis ou quelque autre personne médire du prochain, ou l'insulter, demandons-leur compte et raison de leurs paroles. En résumé convainquons-nous que c'est pécher : car il nous sera alors aisé de nous corriger. Puisse le Dieu veiller sur votre esprit, sur votre langue, et les protéger par l'inexpugnable rempart de sa crainte, en Jésus-Christ Notre-Seigneur, avec qui gloire au Père et au Saint-Esprit.