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Les faits passés ont plus de pouvoir que les choses futures; ils inspirent plus d'admiration et de confiance. Voilà pourquoi Paul appuie son exhortation sur les événements accomplis; c'est que, grâce au Christ, ils sont les plus propres à persuader. Dire : remets, et il te sera remis; si Nous ne remettez pas, il ne vous sera pas remis : ce langage a une grande force quand il s'adresse à des philosophes, à des hommes qui croient à l'autre vie. Mais Paul, pour nous faire rentrer en nous-mêmes, ne s'en tient pas là : il emprunte au passé de nouveaux arguments. On a vu le moyen d'échapper aux supplices : voici maintenant celui d'être récompensé. Imitez le Christ, nous dit Paul. Imiter Dieu, c'est un motif suffisant pour nous exhorter à la vertu; c'est une raison qui surpasse celle-ci : « Il fait lever le soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et sur les injustes ». (Matth. V, 45.) Paul ne nous dit pas seulement d'imiter; il nous dit encore d'avoir les uns pour les autres ce coeur de père, auquel nous devons tant le bienfaits : car le mot coeur signifie ici charité, miséricorde. Comme il .n'est pas possible à des hommes de vivre ensemble sans se causer quelque ennui, voici un nouveau remède, se faire grâce mutuellement : « Vous faisant grâce mutuellement ». D'ailleurs il n'y a point parité : car si vous faites grâce à un homme, il vous rendra la pareille, tandis que Dieu ne l'a pas reçue de vous. De plus, vous avez affaire à un compagnon de servitude, tandis que Dieu a obligé son serviteur, son ennemi, celui qui le haïssait. « Comme Dieu lui-même vous a fait grâce en Jésus-Christ ». Encore une allusion sublime voici le sens. Ce n'est pas une simple grâce qu'il nous a faite, une grâce sans péril; pour cela il a mis son Fils en danger. Pour vous pardonner, il a immolé son Fils; et vous, à qui le pardon souvent ne coûte ni danger ni dépense, vous ne pardonnez pas.
« Soyez donc les imitateurs de Dieu, comme enfants bien-aimés ; et marchez dans l'amour, comme le Christ nous a aimés et s'est livré lui-même pour nous, en oblation à Dieu, et en hostie de suave odeur ». Afin que vous n'alliez pas attribuer cela à la nécessité, écoutez comment il a soin de préciser en disant : « Il s'est livré lui-même ». C'est comme s'il disait : Tu étais l'ennemi du Seigneur, et le Seigneur t'a aimé : aime en lui ton ami; ou plutôt tu ne pourras jamais lui rendre assez d'amour; aime-le, du moins, de tout ton pouvoir. Ah ! quelle parole fortunée ! En vain vous parleriez du royaume, ou de quoi que ce soit, vous n'atteindrez jamais si haut. C'est imiter Dieu, c'est lui ressembler, que de pardonner à un ennemi. Ce sont les offenses, (524) encore plus que les dettes, qui doivent être remises. Car en remettant une dette, vous n'imitez pas Dieu, et vous l'imitez en remettant une offense. D'ailleurs comment pourrez-vous dire : Je suis pauvre, je ne puis remettre, si vous ne remettez pas les choses mêmes que vous pouvez remettre, et si vous considérez cela comme un sacrifice, au lieu d'y voir une richesse, un profit, un bénéfice? «Soyez donc les imitateurs de Dieu ». Voici maintenant un autre motif encore plus noble : « Comme enfants bien-aimés ». Ce qui vous oblige à l'imiter, ce ne sont pas seulement ces bienfaits, c'est encore que vous êtes ses enfants. « Comme enfants bien-aimés ». S'il parle ainsi, c'est que tous les fils n'imitent point leurs pères, mais ceux-là seulement qui sont bien-aimés.
« Marchez dans l'amour ». Voilà le principe de tout : avec l'amour, plus de colère, de fureur, de clameurs, de diffamation; tout- disparaît. Voilà pourquoi il place en dernier lieu la chose essentielle. Pourquoi êtes-vous devenu enfant ? Parce qu'il vous a été pardonné... Pardonnez à votre prochain pour le même motif qui vous a valu à vous-même votre pardon. Dites-moi, supposez que vous soyez captif, réservé à mille tourments, et que quelqu'un vous introduise tout à coup dans la résidence du roi; ou plutôt, prenons un autre exemple. Supposez que vous ayez la fièvre, que vous soyez à l'agonie, et que quelqu'un vous rende la santé au moyen d'un remède; n'auriez-vous pas pour cette personne, et pour le nom même du remède, une vénération particulière? Si les lieux et les temps où nous avons reçu quelque service nous deviennent aussi précieux que la vie, à plus forte raison doit-il en être ainsi pour les choses mêmes qui nous ont rendu service. Aimez la charité : car c'est par elle que vous avez été sauvés, par elle que vous êtes devenus fils; s'il vous est donné, à votre tour, de sauver autrui, n'userez-vous pas du même remède, et ne prêcherez-vous pas à tous le précepte : Remettez, afin qu'il vous soit remis? C'est le fait d'une âme reconnaissante, noble et généreuse qu'une pareille exhortation. « Comme le Christ nous a aimés ». Vous pardonnez à vous amis; lui, il a pardonné à ses ennemis; combien est plus admirable la conduite du Seigneur ! Comment donc observer le précepte renfermé dans ce mot: « Comme?» N'est-il pas manifeste que ce sera en faisant du bien à nos ennemis? « Et s'est livré lui-même pour nous, en oblation à Dieu, et en hostie de suave odeur ». Voyez-vous combien , c'est une offrande agréable et parfumée, que de souffrir pour ses ennemis? Si vous mourez, vous serez une hostie ; c'est ainsi qu'on imite Dieu. « Que la fornication et toute impureté, ou l'avarice , ne soient pas même nommées parmi vous, comme il convient à des saints ».
Il a parlé de la colère, cette passion cruelle il arrive à un mal moindre. La preuve que la concupiscence est un mal moindre en effet, elle se trouve dans la loi de Moïse, laquelle dit d'abord : « Tu ne tueras point », ace qui est dirigé contre la colère, et passe ensuite à ceci, qui regarde la concupiscence: « Tu ne commettras point l'adultère ». En effet, si l'amertume, les clameurs, si la méchanceté, si la diffamation, et les autres choses de ce genre procèdent de la colère : c'est la concupiscence qui engendre la fornication, l'impureté, l'avarice ; c'est un même instinct qui nous fait aimer les richesses et la chair. Et de même qu'il a interdit le cri, comme étant le véhicule de la colère, de même ici il, défend les propos légers ou obscènes, véhicule de la fornication. « Point de turpitudes, de folles paroles, de bouffonneries, ce qui ne convient point ; mais plutôt des actions de grâces ». Point de paroles, point d'actions galantes ou libertines, et vous éteindrez la flamme. « Qu'elles ne soient pas même nommées parmi vous »; en d'autres termes : qu'elles soient complètement exclues. Il dit de même, en écrivant aux Corinthiens : « Il n'est bruit que de fornication parmi vous ». (I Cor. V, 1.) II veut dire : Soyez tous purs; car les discours acheminent aux actions. Ensuite, pour ne point paraître un censeur trop rigoureux, qui proscrit la gaieté même, il ajoute aussitôt la raison en ces termes : « Ce qui ne convient pas; mais plutôt des actions de grâces ».