1.
« Dieu m'est témoin ». S'il invoque le témoignage de Dieu, ce n'est pas comme les soupçonnant de ne pas croire au sien propre; c'est l'affection même qui lui dicte cet appel à Dieu, il veut avoir leur pleine et entière confiance. Il venait de parler des soulagements (12) qu'il avait reçus d'eux. Craignant de laisser croire que ce motif intéressé soit la cause de son affection, et qu'il ne les aime pas pour eux-mêmes, il ajoute : « Je vous aime dans les entrailles de Jésus-Christ ». Qu'est-ce à dire? entendez : selon Jésus-Christ, parce que vous êtes vrais fidèles; parce que vous l'aimez, je vous aime de l'amour de Jésus-Christ. Encore ne dit-il pas « amour », mais ce qui est plus ardent, « entrailles de Jésus », comme s'il disait les entrailles, le sein de celui qui est devenu votre père, selon cette parenté mystique que nous avons en Jésus-Christ. C'est là comme une génération qui nous communique de nouvelles entrailles, un coeur plein de feu et de saintes flammes : c'est, en effet, un don de Dieu à ses serviteurs, que des entrailles semblables. Ainsi, dans ces entrailles, moi Paul, je vous aime, et non plus seulement selon celles de ma nature, mais dans ces entrailles bien autrement enflammées, celles de Jésus-Christ.
« Avec quelle tendresse je vous aime tous ». Je vous aime tous, car vous êtes tous tels que je viens de dire; et comme le langage humain ne peut exprimer l'ardeur de mon affection, dans cette sainte impossibilité, je laisse à Dieu de me comprendre, puisqu'il sonde les coeurs. Si l'apôtre eût voulu les flatter, il n'aurait pas pris ainsi Dieu à témoin : cet appel suprême devenait un péril.
« Et ce que je lui demande, c'est que votre charité croisse de plus en plus ». Bien dit ! car l'amour est insatiable. Vous voyez que, si fort aimé déjà, il désire l'être plus encore. Quand on aime comme il aimait, on veut être payé tellement de retour par la personne aimée, qu'on ne lui permette jamais de s'arrêter à tel degré d'affection. Cette vertu ne connaît point de limites; aussi saint Paul veut qu'on la doive toujours. « Ne devez rien à personne », dit-il, « si ce n'est de vous aimer les uns les autres ». La mesure de la charité est de progresser toujours : « Que votre charité », dit-il, « croisse de plus en plus ». Mais faites attention à l'ordre des paroles. « Qu'elle croisse de plus en plus », dit-il, « en lumière et en toute intelligence ». Ce n'est pas simplement l'amitié qu'il admire, ce n'est pas simplement toute charité ; mais celle qui vient « de la lumière » et de la science; car nous ne devons pas avoir pour tous la même affection : ce ne serait plus charité, mais indifférence. Qu'est-ce à dire : « en lumière? » avec jugement, avec réflexion, avec discernement. Il est des gens qui donnent leur amitié sans raison , sans y regarder et comme il se trouve : aussi de pareilles liaisons ne peuvent tenir longtemps.
« En lumière », continue-t-il, « en toute intelligence, afin que vous sachiez discerner ce qui est meilleur ». — « Meilleur», ici, veut dire utile » pour vous-mêmes : carte n'est pas pour moi que je parle, mais bien pour vous. Il est à craindre, en effet, qu'on ne se laisse corrompre par l'affection des hérétiques. Les paroles qui précèdent font déjà entendre ce sens, mais voici qui le détermine plus clairement : « Pour que vous soyez sincères et purs» . ainsi je ne parle pas dans mon intérêt, mais dans le vôtre; je crains que, sous prétexte de charité, vous n'admettiez quelque doctrine illégitime. — Vous me demandez comment l'apôtre a pu dire ailleurs : « S'il se peut, ayez la paix avec tous les hommes ? » (Rom. XII, 18.) Je réponds qu'il n'a pu vous recommander une paix qui vous fût nuisible; au contraire, Jésus-Christ a dit : « Si votre oeil droit vous scandalise, arrachez-le et jetez-le loin de vous ». (Matth. V, 29.) Mais de manière que vous soyez sincères » devant Dieu, « sans reproches devant les hommes ». Trop souvent les liaisons de l'amitié ont compromis la foi. Quand la vôtre n'aurait rien à en craindre, votre frère pourrait s'en scandaliser, et vous ne seriez pas «sans reproche ». — «Jusqu'au jour de Jésus-Christ » : c'est-à-dire pour qu'à cette heure suprême vous soyez trouvés purs, n'ayant scandalisé personne.
« Remplis des fruits de justice, par Jésus-Christ, pour la gloire et la louange de Dieu» c'est-à-dire ayant la vie aussi droite que les croyances. Et il ne suffit pas qu'elle soit simplement droite, il la faut remplie « des fruits de justice » ; car il y a une certaine justice qui n'est pas selon Jésus-Christ, une certaine honnêteté selon le monde. Je demande celle qui l'est « selon Jésus-Christ à la gloire et louange de Dieu ». Vous voyez donc qu'en rien je ne cherche ma gloire, mais celle de Dieu.— Souvent il appelle l'aumône justice. Ainsi donc ayez la paix avec tout le monde; mais toutefois que votre charité n'aille pas vous nuire et vous faire oublier vos intérêts; et que l'amitié pour un homme, quel qu'il soit, ne vous fasse pas faire un faux pas. Oui, je désire que votre charité grandisse, mais non jusqu'à vous (13) devenir dommageable. Je ne veux pas que vous soyez surpris par votre simplicité même; mais quand la réflexion vous aura prouvé que nos paroles sont vraies. Il ne dit pas : Préférez mes vues; mais. . « Faites l'épreuve ». Une prononce pas ouvertement: Gardez-vous de telle liaison ! mais : Je désire que votre charité soit utile, et que vous ne vous fixiez pas sans discernement. Vous seriez déraisonnables, en effet, de faire des oeuvres de justice autrement que pour Jésus-Christ, et par Jésus-Christ. Vous entendez cette formule fréquente : « Par lui ». Est-ce à dire qu'il se serve de Dieu comme d'un aide travaillant sous ses ordres? Arrière ce blasphème. Au contraire, dit-il, si je parle ainsi, loin de chercher ma gloire, je ne veux que celle de Dieu.