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Rien de plus heureux que l'âme de saint Paul, parce qu'aussi rien n'était plus généreux. De nôs jours , au contraire , et de nous tous on peut dire : rien n'est plus faible, par suite rien n'est plus misérable. Nous avons tous horreur de la mort, les uns, et je. suis d ii nombre, parce que le poids et la multitude de leurs péchés les accable; les autres, et puisse-je n'en être jamais , parce qu'à tout prix ils veulent vivre et voient dans la mort le souverain mal. L'homme animal seul peut éprouver cette peur. Eh bien ! ce qui nous fait horreur, Paul le désirait, Paul s'y attachait, et ses paroles en font preuve : « Etre dissous, c'est bien le meilleur ! et moi , je ne sais que choisir ! » Que dites-vous? Sûr d'émigrer de cet exil vers le ciel, sûr de posséder Jésus-Christ, vous ne savez que choisir? Ah ! nous sommes loin de comprendre l'âme de Paul. Et qui donc, si pareille condition lui était présentée sérieusement , n'y souscrirait avec empressement ? Pour nous, il n'est en notre pouvoir, ni de mourir, pour aller avec Jésus-Christ, ni de demeurer en cette vie ; mais l'un et l'autre dépendaient de saint Paul, telle était sa vertu. — Que dites-vous donc, bienheureux apôtre? Vous savez, vous êtes assuré que vous serez avec Jésus-Christ, et vous hésitez ! « Je ne sais que choisir » , dites-vous ! Il y à plus, vous préférez rester ici, je veux dire dans votre chair. Et quel est votre attrait? Est-ce que vous n'avez pas toujours mené une vie bien rude, endurant veilles, naufrages, faim et soif, nudité, soins , inquiétudes? infirme avec les infirmes, dévoré de zèle et d'ennui pour ceux qui se laissaient prendre aux scandales? Il nous rappelle, en effet, la « grande patience, les tribulations, les nécessités, les afflictions, les plaies, les prisons, les séditions, les jeûnes, la continence (II Cor. VI, 4, 5) ; par cinq fois » , dit-il, « j'ai reçu trente-neuf coups de fouet ; trois fois j'ai été battu de verges, une fois lapidé; une nuit et un jour au fond de la mer ; périls des fleuves, périls des brigands, périls dans la cité, périls dans la solitude ; périls de la part des faux frères » . (II Cor. XI, 21-26.) — Et quand toute la nation des Galates avait fait un triste retour vers la loi de Moïse, ne vous entendait-on pas crier : « Vous qui cherchez la justice légale , vous êtes déchus de la grâce? » (Gal. V, 4.) Alors, combien ne fut pas profonde votre douleur? — Et c'est cette vie si changeante que vous regrettez ?
D'ailleurs, quand bien même ces traverses ne vous seraient point arrivées; quand même vous auriez saintement joui de vos saintes oeuvres, ne deviez-vous pas, par crainte d'un avenir incertain, entrer enfin dans un port quelconque de salut? Où est le marchand qui ait comblé son vaisseau d'incalculables trésors, et qui, libre d'entrer au port et de s'y reposer, préférerait être battu des vagues ? Quel athlète, pouvant recevoir la couronne, préférerait descendre dans la lice, et présenter encore sa tête aux coups meurtriers? Est-il un général qui , pouvant dire adieu aux combats avec gloire, et vivre heureux au palais avec le souverain, choisira de suer encore et d'affronter la bataille ? Comment donc, astreint à cette vie si dure, désirez-vous demeurer sur la terre? N'avez-vous pas prononcé vous-même : « Je crains qu'après avoir prêché aux autres , moi-même je ne devienne un réprouvé ? » (25) (I Cor. IX, 27.) A défaut d'autre motif, celui-ci devait suffire à vous faire désirer la délivrance. Votre vie humaine aurait -elle été comblée d'un ineffable bien-être, qu'encore alors vous deviez en désirer le terme, à cause de Jésus-Christ, objet de vos voeux ardents.
O grande âme de Paul, que rien n'égala ni n'égalera jamais! Vous craignez à bon droit l'avenir, en restant au monde; des périls sans nombre vous environnent , et vous refusez néanmoins d'être avec Jésus-Christ? — Eh ! sans doute, je refuse, pour Jésus-Christ même; je lui ai préparé des serviteurs, je veux les affermir dans son amour; j'aime à assurer les fruits du champ que j'ai ensemencé. M'avez-vous entendu? J'ai dit que je cherchais les intérêts du prochain et non les miens ! j'ai dit que j'aurais voulu être anathème pour Jésus-Christ, afin de lui gagner un plus grand nombre de fidèles ! Après avoir choisi l'anathème, ne dois-je pas plus facilement encore choisir le dommage d'un retard, la souffrance d'un délai, pour accroître deux autres chances du salut?
« Qui racontera vos puissances » (Ps. CV, 2), ô mon Dieu, qui n'avez pas laissé dans l'ombre ce grand Paul, et qui avez bien voulu montrer à l'univers un tel homme ? Les anges vous ont loué d'un concert unanime, quand vous eûtes créé les astres et le soleil mais plus ardentes furent leurs louanges quand vous avez montré, à nous et au monde, le bienheureux Paul ! En ce jour-là, notre terre effaça les splendeurs du ciel, elle brilla par lui d'un plus vif éclat que cette lumière du soleil; elle lança par lui de plus beaux rayons. Quelle riche récolte il enfanta parmi nous, non pas en fournissant aux épis leur aliment, aux arbres leur nourriture, mais en créant le fruit même de la piété, en lui imprimant vie et force, en ressuscitant même souvent les coeurs flétris ! Car ce soleil ne peut guérir et refaire sur les arbres leur branche ou un fruit gâté. Paul, au contraire, a rappelé du péché, des hommes accablés de mille plaies. Le soleil à chaque nuit se retire : Paul fut toujours vainqueur du démon; rien au monde ne le renversa, rien ne le put vaincre. Placé au sommet des cieux, l'astre des jours envoie ses rayons sur nos basses régions : Paul, au contraire, part d'en bas, et non-seulement il remplit de ses lumières l'intervalle qui sépare le ciel d'avec la terre, mais dès qu'il ouvre la bouche il comble d'une joie ineffable les anges eux-mêmes. Car si telle est la joie du ciel quand un seul pécheur fait pénitence, comment Paul n'aurait-il pas rempli de bonheur toutes les puissances célestes? Que dis-je, en effet ? Il suffisait de la parole de Paul pour réjouir et faire tressaillir le ciel. Car si, au départ des Israélites de l'Egypte , les montagnes bondirent comme des béliers, quelle allégresse devait exciter cette glorieuse assomption des hommes, de la terre au ciel? Il ajoute donc : « Rester dans la chair est plus utile à cause de vous ».