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Nous avons exposé et réfuté les systèmes hérétiques; il est temps, maintenant, de développer nos saintes vérités. Ces paroles : « Il n'a pas cru usurper », d'après eux, ne signifient que : « Il n'a pas usurpé ». D'après nous, et nous l'avons fait voir, ce sens est ridicule et absurde, puisque jamais on ne pourrait, dans un sens pareil, trouver dans ce passage une exhortation à l'humilité; puisqu'on ne pourrait louer ainsi Dieu, ni même un homme vulgaire.
Que devons-nous donc croire ici? Appliquez-vous, mes frères, à bien suivre notre discours. C'est le préjugé du grand nombre, que s'ils se conduisent avec humilité, ils compromettront leur dignité personnelle, perdront dans l'estime publique, et descendront au-dessous de leur niveau réel. L'apôtre combat cette crainte orgueilleuse, et, pour montrer que tels ne doivent pas être nos Sentiments, il monte jusqu'à la divinité même : ce Dieu, Fils unique, qui est .dans la forme de Dieu, qui n'a rien de moins que son Père, qui lui est égal , n'a pas regardé, nous dit-il, comme une rapine ni comme une usurpation son égalité avec Dieu. Or, comprenez bien ces dernières paroles.
Un bien que vous auriez ravi ou que vous posséderiez sans aucun droit, vous n'oseriez pas le déposer même un instant; vous craindriez de le perdre, d'en déchoir; aussi le gardez-vous continuellement ;en vos mains. Au contraire, celui qui tient de la nature une dignité quelconque, celui-là ne craint pas de descendre de sa dignité, parce qu'il n'a pas à redouter de la perdre. Un exemple. Absalon avait ravi le pouvoir; il n'aurait osé l'abdiquer. Autre exemple. Mais . ne vous troublez pas si nos comparaisons ne peuvent représenter parfaitement et intégralement leur objet c'est le propre de ce genre d'arguments de laisser à l'esprit plus à deviner qu'ils n'expliquent. Je dis donc : Un usurpateur, révolté contre son prince, lui a ravi le sceptre : ne craignez pas qu'il ose ni déposer le pouvoir, ni dissimuler même cette autorité qu'il a ravie ; dès qu'il la dissimule, il la perd. Au reste cet exemple s'applique à tout bien ravi : le ravisseur toujours veille sur sa proie, et la garde continuellement; s'il s'en dépouille un instant, il la perdra; de sorte qu'on peut dire en général, que tout voleur craint de se séparer de l'objet volé, et qu'il garde toujours le bien sur lequel il a mis la main; tandis qu'une crainte semblable ne se rencontre pas dans ceux qui ne possèdent rien par rapine: ainsi l'homme craint bien peu de perdre sa raison, qui fait sa dignité... J'avoue, toutefois, ne pas trouver d'exemples satisfaisants : nous ne tenons, pauvres humains, aucune royauté de par la nature; aucun bien même ne nous est naturel, puisque tous et chacun appartiennent essentiellement et en toute propriété à Dieu seul.
Que dirons-nous donc? Que le Fils de Dieu n'a pas appréhendé de descendre de sa dignité, bien sûr qu'il était de la recouvrer; et qu'il l'a cachée sans croire pour cela s'amoindrir. Aussi l'apôtre n'a-t-il pas dit de Jésus-Christ qu'il « n'a pas usurpé », mais bien qu'il « n'a pas cru (44) « usurper». Sa souveraineté, en effet, ne venait ni de rapine, ni de donation faite par autrui elle était sa nature, et par suite immuable et assurée. Aussi n'hésite-t-il pas, roi suprême, à revêtir l'extérieur d'un de ses sujets. Un tyran craint de dépouiller à la guerre son manteau de pourpre; un roi s'en défait avec confiance. Pourquoi? Parce qu'il n'a pas usurpé le commandement. Il est loin de ressembler à l'usurpateur qui ne s'en dépouille jamais; il le dissimule et le cache, parce qu'il le possède par nature et qu'il ne peut le perdre. Je conclus L'égalité avec Dieu n'était pas pour Jésus-Christ une usurpation, mais bien sa nature même ; aussi s'est-il anéanti.
Mais où sont ceux qui prétendent qu'il subit alors une nécessité, qu'il fut réduit à se soumettre? Il s'anéantit « lui-même », a dit saint Paul ; il s'humilia « lui-même» , il « se fit » obéissant jusqu'à la mort. Comment il « s'anéantit » , l'apôtre le montre : « en prenant « la forme de l'esclave, en se faisant à la a ressemblance des hommes , étant reconnu « homme par tout son extérieur ». Il se rappelle qu'il vient d'écrire : « Que chacun croît les autres au-dessus de soi ». Aussi ajoute-t-il de Jésus-Christ lui-même : « Il s'est anéanti ». En effet, s'il avait subi l'abaissement, mais non spontanément, mais non d'après sa volonté même, ce n'eût pas été un acte d'humilité. S'il n'a pas su, par exemple, que ce sacrifice lui était demandé, cette ignorance en lui est une imperfection. A-t-il seulement attendu, faute de la connaître, l'heure où il devait l'accomplir? Encore, ici, c'est une ignorance du temps. Et s'il a connu l'obligation de le faire et l'heure de l'accomplir, pourquoi direz-vous qu'il ait été Contraint de se soumettre? — Pour montrer, direz-vous, la prééminence de son Père sur lui. — Mais alors il aboutissait à montrer non pas la prééminence de son Père, mais sa propre bassesse. Car le nom de Père ne suffit-il pas pour indiquer la prérogative du Père ? Or, à cette seule exception près qu'il n'est point le Père, nous trouvons dans le Fils identité complète et en tout avec le Père. Ce titre de Père, évidemment, ne peut passer au Fils sans absurdité. Mais, je le répète, ace titre seul excepté, tout ce que possède le Père appartient au Fils en toute communauté.