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Les avis, doivent être tempérés par les éloges : ainsi est-on sûr qu'ils seront bien accueillis, puisque les personnes averties de la sorte se verront invitées à rivaliser avec elles-mêmes. Telle est ici la sainte tactique de l'apôtre, et voyez sa sagesse à l'employer. « Ainsi donc, mes bien-aimés... » Il ne dit pas sans détour et brusquement : Chrétiens, obéissez ! mais il emploie d'abord cette apostrophe élogieuse, et il ajoute même : « Comme vous avez toujours obéi.», c'est-à-dire, je vous engage et je vous supplie d'imiter non pas les autres, mais vous-mêmes. « Non-seulement, lorsque je suis présent, mais encore plus lorsque je suis éloigné de vous... » Pourquoi plus encore en mon absence ? Parce que , moi présent, vous paraissiez peut-être agir par respect, par honneur pour ma personne; maintenant ce motif n'existe plus. Si vous persévérez maintenant dans les mêmes sentiments et les mêmes vertus, il deviendra évident que vous y êtes déterminés, non par égard pour moi, mais par le seul amour de Dieu. Alors, bienheureux Paul, pour vous-même que demandez-vous? Je ne demande pas que vous m'écoutiez, mais que vous opériez votre salut avec crainte et tremblement. Impossible, à qui n'a point cette crainte, de faire une oeuvre tant soit peu grande et admirable.
L'apôtre, non content de réclamer ici « la crainte », demande même le tremblement », qui est une autre sorte d'appréhension plus grande et plus vive; son but est de les rendre plus attentifs encore. Au reste, lui-même éprouvait cette crainte quand il (52) écrivait : « Je crains qu'après avoir prêché aux autres, je ne sois moi-même réprouvé ». (I Cor. IX, 27.) Sans cette crainte, en effet, l'acquisition des biens temporels est souvent impossible : combien plus celle des biens spirituels ! Dites-moi plutôt si, sans cette crainte, on pût jamais apprendre même l'alphabet, ou savoir un métier ! Et dans ces travaux, cependant, où le démon n'intervient pas aussi menaçant, où la paresse est le seul ennemi redoutable, il faut un suprême effort pour vaincre l'inertie de notre nature; comment donc dans la guerre si redoutable, dans les obstacles si grands que rencontre l'affaire du salut, comment pourrait-on jamais réussir sans la crainte ?
Mais quels sont les moyens d'éveiller en nous ce sentiment si efficace? C'est de graver dans notre âme le sentiment de la présence partout d'un Dieu qui entend tout, qui voit tout, et non-seulement nos faits ou nos paroles, mais jusqu'aux replis les plus cachés de nos coeurs et de nos esprits. « Car Dieu est le témoin des pensées et des désirs du coeur ». (Hébr. IV.) Ainsi prédisposés, nous ne ferons, nous ne dirons, nous ne penserons rien où se mêle le péché. Dites-moi plutôt : si vous deviez constamment vous tenir debout devant un prince, vous seriez dans le respect et dans la crainte. Et comment se fait-il qu'en face de Dieu l'on s'abandonne au rire, aux bâillements, sans craindre, sans trembler? N'abusez pas de sa longue patience. Il diffère de punir pour vous amener à repentante; gardez-vous, dans n'importe quelle oeuvre, d'agir comme si Dieu n'était pas partout présent : car il est là ! Ainsi dans le repas, à l'heure du sommeil, lorsque vous êtes prêt à vous livrer à la colère, à la rapine, aux plaisirs, dans toute action enfin, pensez à la présence de Dieu, et le rire coupable s'arrêtera sur vos lèvres, et la colère ne pourra vous emporter. Armé de cette continuelle pensée, vous serez constamment dans la crainte et le tremblement, puisque toujours vous vous verrez en présence du souverain Roi. Le maçon le plus expérimenté et le plus habile ne se tient debout qu'avec crainte et tremblement sur l'édifice auquel il travaille : il pourrait se précipiter ! Et vous aussi, malgré votre foi, malgré la pratique de maints devoirs de vertu, malgré le haut degré de sagesse où peut-être vous êtes arrivé, tenez-vous bien ferme sur l'endroit sûr, restez debout, mais avec crainte et l'œil ouvert : vous pourriez en déchoir ! Il y a tant d'esprits de malice qui n'ont d'autre désir que de vous jeter dans l'abîme ! « Servez Dieu avec crainte », dit le Prophète, « réjouissez-vous devant lui, mais avec tremblement ». (Ps. II, 11.) Mais comment concilier l'allégresse et le tremblement? Je vous réponds que ce sont choses inséparables. Car lorsque nous aurons accompli un acte vertueux, quand nous l'aurons fait, vous dis-je, avec le même esprit qui fait agir un serviteur obéissant avec tremblement, alors, et seulement, alors la joie nous sera possible. Donc avec crainte et tremblement, « opérez votre salut » ; non pas, faites, mais opérez, en ce sens que vous fassiez la grande oeuvre non pas tant bien que mal, mais avec un soin, mais avec un zèle parfait. Or, ces paroles de crainte, de tremblement ne vont-elles pas nous jeter dans l'inquiétude ? L'apôtre la prévient et la dissipe en ajoutant : « C'est Dieu qui opère en nous»; ainsi, que la crainte et le tremblement dont je parle ne vous fassent point tomber les armes des mains; si je lés prononce, ce n'est pas pour vous désespérer ni pour vous faire croire que la vertu soit inabordable; mais seulement pour vous forcer à comprendre, à vous appliquer, à ne point vous abattre, à ne jamais vous lasser. — Alors, répondrez-vous, Dieu fera tout ! il est vrai, ayez confiance ! Car c'est Dieu qui opère...
« Qui opère en vous le vouloir et le faire ». Si donc Dieu opère, aussi faut-il que nous lui apportions une volonté toujours concordante, ferme, constante. Si Dieu opère en nous la volonté elle-même, sans aucune coopération de notre part, pourquoi saint Paul nous exhorte-t-il à vouloir? Si c'est Dieu qui fait toute notre volonté, vous avez tort, ô grand apôtre, de nous dire : « Vous avez obéi », car ce n'est plus nous qui obéissons; en vain vous ajoutez : « Avec crainte et tremblement » : tout est de Dieu ! — L'apôtre vous répond: Ce n'est pas dans ce sens que je vous ai dit : « Dieu opère en nous le vouloir et le faire »; je n'ai voulu qu'apaiser votre inquiétude. Si vous voulez, Dieu opérera en vous le vouloir; que cette crainte ne vous trouble pas. C'est lui qui imprime le mouvement à la volonté et qui donne la force d'opérer. Dès que nous aurons voulu, il augmentera, il accomplira notre bon vouloir. Par exemple, je veux faire quelque bonne oeuvre? Il opère en moi cette bonne (53) oeuvre, il opère en moi de la vouloir. Et par le bien que j'accomplis il fortifie encore ma première volonté.