2.
« Cependant j'ai cru nécessaire de vous renvoyer mon frère Epaphrodite, l'aide de mon ministère, le compagnon de mes combats... » L'apôtre l'envoie donc, avec les mêmes éloges qu'il donnait à Timothée. Celui-ci obtenait, en effet, deux titres de recommandation. son amour pour les Philippiens, que saint Paul attestait en disant que Timothée (59) prendrait soin d'eux avec une affection sincère; et les preuves de zèle qu'il avait données dans la prédication de l'Evangile. Il invoqua ce double titre pour Epaphrodite ainsi, et en quel; termes? Il l'appelle frère et coopérateur, il va même jusqu'à le nommer son compagnon d'armes, montrant en lui un ami qui a partagé tous ses dangers, et attestant de lui tout ce qu'il pourrai4 dire de soi-même. Compagnon d'armes dit plus encore que coopérateur; on trouve des gens qui s'associent à vous pour des affaires peu graves; beaucoup moins, pour prendre leur part de vos combats et de vos périls. L'apôtre indique que celui-ci portait jusque-là le dévouement. «Epaphrodite qui est aussi votre apôtre et qui m'a servi dans nies besoins ». Ainsi nous vous rendons, dit saint Paul, ce qui est à vous, puisque nous vous renvoyons un homme qui vous appartient, ou qui peut vous instruire.
« Parce qu'il désirait vous voir tous; et il était a fort en peine, parce que vous aviez appris sa maladie; en effet, il a été malade jusqu'à la mort, mais Dieu a eu pitié de lui, et non-seulement de lui, mais aussi de moi, afin que je n'eusse point affliction sur affliction ». C'est une autre manière de recommander Epaphrodite. L'apôtre montre que ce cher député est convaincu de l'amour des Philippiens envers lui. Rien de plus capable qu'un tel motif pour le faire aimer encore davantage. Comment? C'est qu'il a été malade, et vous en avez été affligés; il est rétabli, et vous délivre ainsi de l'inquiétude que vous causait son accident; mais il n'a pas été sans chagrin même après sa guérison; il s'attristait de ne vous avoir pas vus encore depuis son rétablissement. L'intention de l'apôtre est aussi de se justifier lui-même en leur donnant la raison qui ne lui permettait pas de le renvoyer plus tôt, et prouvant que la négligence n'y est pour rien ; qu'il a dû retenir Timothée, n'ayant personne avec lui : « Lui excepté, dit-il, je n'ai point d'ami intime », et d'autre part, gardant Epaphrodite à cause de sa maladie, qu'il montre aussitôt avoir été longue et dangereuse, puisqu'il « fut malade à en mourir ». Voyez-vous quelles précautions saint Paul met en jeu pour que les fidèles ne puissent le moins du monde accuser en lui négligence ou paresse, et n'aillent soupçonner que si personne n'est venu, c'est parce qu'on les mépriserait? Rien n'est plus capable, en effet, de gagner le coeur d'un disciple, que de lui donner la preuve et la conviction de l'intérêt que lui porte son maître et des regrets dont il est ainsi l'objet : c'est la marque d'une extrême charité. Et puis ajoutant: « Vous saviez qu'il avait été malade; il l'a été mortellement, en effet», et pour vous convaincre que je n'invente ni n'exagère aucunement, écoutez: Dieu seul l'a sauvé « dans sa miséricorde ».
A ce fait, hérétiques, que répondrez-vous? Paul, ici, attribue à la miséricorde la conservation d'un malade près de mourir, et son retour à la vie. Mais si ce monde était essentiellement mauvais, ce ne serait pas miséricorde que de le retenir dans cet empire du mal. Cette réponse est accablante et facile contre un hérétique; mais à un chrétien, que dirons-nous? Il se peut qu'il ait des doutes, et qu'il dise : Quoi ! si être dissous et habiter avec Jésus-Christ est un sort préférable, comment dire que la miséricorde ici se soit exercée? — Et moi je répliquerai : Pourquoi l'apôtre ajoute-t-il aussitôt : Il est nécessaire que je reste à cause de vous ? Nécessité pour Paul, qui valait aussi pour Epaphrodite; d'ailleurs il n'attendait que pour s'en aller enfin vers Dieu avec de plus riches trésors et une plus grande confiance. Pour être retardé un peu, ce bonheur ne pouvait néanmoins lui manquer; et une fois parti de ce monde, il lui était impossible de gagner des âmes. Ajoutez que Paul parle souvent le langage ordinaire des hommes, qu'il s'accommode à leurs sentiments et à leurs pensées, et qu'il ne s'élève pas toujours aux sommets de la sagesse. Sa parole s'adressait à des hommes mondains encore et craignant beaucoup la mort. Il veut enfin montrer sa haute estime pour Epaphrodite, et lui gagner les respects des fidèles en attestant que cette vie ainsi sauvée lui est nécessaire au point qu'il regarde cette guérison comme un acte de miséricorde envers lui-même.
Au reste, à part ces raisons, nous soutenons encore que la vie présente est un bien : sinon pourquoi Paul voudrait-il énumérer, parmi les châtiments du ciel, les morts prématurées? Car il dit en un autre endroit : C'est pour cela que parmi vous plusieurs sont malades infirmes, frappés même de l'éternel sommeil. La vie à venir du méchant n'est pas meilleure que celle-ci, elle est affreuse; pour l'homme juste, elle vaut mieux que celle-ci.
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« Dieu n'a pas voulu que j'eusse tristesse sur tristesse », que déjà désolé de sa maladie, j'eusse encore la douleur de le perdre. Il ne peut mieux faire voir son estime pour Epaphrodite. « C'est pourquoi je me suis hâté de le renvoyer ». Comment s'est-il hâté? Sans hésitation, sans délai, en lui ordonnant de passer sur tous les obstacles, pour vous arriver au plus tôt et vous mettre hors de peine. En effet, quand une personne aimée revient à la santé, nous sommes heureux de l'apprendre, mais plus joyeux de la revoir, surtout si elle a guéri contre toute espérance, comme il était alors arrivé pour Epaphrodite. — « Pour vous donner la joie de le revoir et pour adoucir aussi mon chagrin ». Quel est le sens des derniers mots? Le voici : Si vous revenez à la joie, j'y reviendrai moi-même; notre cher disciple sera, à son tour, heureux de notre bonheur, et moi-même je serai mieux délivré de mon chagrin. Il ne dit pas : Je serai sans tristesse ; mais seulement : Ma tristesse s'en adoucira, pour montrer que jamais son âme n'est exempte de souffrance. Comment serait-il sans chagrin ni peine, celui qui s'écrie : « Qui est-ce qui est malade sans que je le sois avec lui? Qui est scandalisé sans que je brûle? » (II Cor. XI, 29.) Du moins déposerai-je ce chagrin !