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Ainsi les apôtres étaient des types et des modèles, parce qu'ils observaient un archétype dont l'image était devant leurs yeux. Imaginez-vous toutefois combien leur vie était parfaite et pure, puisqu'eux- mêmes étaient proposés comme archétypes et exemplaires, comme autant de lois vivantes. Ce que disaient leurs lettres, tout le monde le voyait clairement dans leur vie. Voilà la meilleure méthode d'enseignement; c'est ainsi que le maître entraîne son disciple. Qu'il parle seulement, que ses paroles seules respirent la sagesse, tandis que ses exemples reproduiront tout le contraire, il n'est plus un maître. Philosopher en parole est chose facile au disciple même; il faut que vous lui donniez en outre la leçon, la persuasion qui vient de l'exemple. L'exemple seul fait respecter le maître, et incline le disciple à l'obéissance. Comment? C'est que celui-ci ne voyant votre sagesse qu'en paroles, dira tout bas : Ce maître m'impose une morale impossible; et lui-même m'en donne la preuve, puisqu'il ne la pratique pas.
Et toutefois, mes frères, quand même un maître indigne nous laisserait voir sa conduite pleine de lâcheté, veillons à nos propres intérêts, et écoutons le prophète qui dit : « Tous seront enseignés de Dieu » ; et ailleurs : « Désormais l'homme n'enseignera plus son « frère, en disant : Connaissez le Seigneur; « car tous me connaîtront, depuis le plus grand jusqu'au plus petit ». Vous n'avez pas un maître vertueux; mais vous avez le véritable maître, le seul qu'on doive appeler du nom de Maître. Allez à son école. Il a dit : « Apprenez de moi que je suis doux » (Matth. XI, 29) ; n'écoutez pas l'autre docteur; mais seulement (81) le Maître et ses leçons. Prenez là le modèle ; voilà un type parfait; sur lui conformez-vous toujours.
Les saintes Ecritures vous proposent par milliers des exemples de vies passées dans la vertu. Après celui du Maître, abordez, si vous voulez, ceux des disciples. Parmi eux tel brilla par la pauvreté, et tel par les richesses : ainsi Elie fut pauvre, Abraham opulent : prenez la voie qui vous paraît la plus aisée, la plus à votre portée. Tel encore trouva son salut dans le mariage, tel autre dans la virginité : Abraham était marié, Elie resta vierge : choisissez entre ces deux routes, toutes deux mènent au ciel. Le jeûne a sanctifié Jean-Baptiste; Job fut saint sans jeûner. Celui-ci encore avait le souci d'une grande maison, femme, fils et filles, grandes richesses; Jean ne possédait qu'un vêtement de poils. Et que parlé-je de maison, de richesses, d'argent, puisque même avec une royauté terrestre, on peut gagner la vertu? Un palais est, sans comparaison, bien plus rempli d'occupations qu'une maison de particulier : et cependant David a brillé sur un trône; la pourpre ni le diadème n'ont pu le corrompre; tel fut aussi un autre chef d'Etat, à qui la Providence avait confié le gouvernement de tout un peuple, Moïse; et sa tâche était plus difficile encore, car il rencontra chez ce peuple plus de licence, et par suite plus de difficultés, plus d'ennuis.
Vous avez vu des saints dans les richesses comme dans la pauvreté ; vous en avez vu dans le mariage comme dans la virginité. Par contre, sachez que plusieurs ont péri mariés ou vierges, riches ou pauvres. Ainsi, dans le mariage plusieurs se sont perdus : témoin Samson, qui n'a pas péri, au reste, par le fait de cette condition, mais par sa volonté et sa liberté. Ainsi dans la virginité encore: témoin les cinq vierges folles; ainsi dans les richesses, l'orgueilleux riche qui méprisait Lazare; ainsi dans la pauvreté, puisque aujourd'hui même les indigents se perdent par milliers. Je pourrais vous faire voir bien des grands qui se sont perdus sur le trône et dans le gouvernement des peuples. Mais aussi, jusque dans l'état militaire, voulez-vous des noms de soldats qui ont fait leur salut? Voyez Corneille. Préférez-vous des intendants de maisons particulières? Voyez l'eunuque de la reine d'Ethiopie. Ainsi devient-il évident qu'en usant des richesses selon le devoir, elles n'ont rien qui puisse nous perdre; mais qu'en dehors de la règle, tout est ruine : le trône vous perd, la pauvreté vous perd, les richesses vous perdent.
Rien ne peut nuire à l'homme qui est sur ses gardes. Serait-ce, dites-moi, la captivité qui lui serait fatale? Nullement. Rappelez-vous Joseph, réduit en esclavage et non moins enchaîné à la vertu. Rappelez-vous Daniel et les trois enfants de Babylone qui, par leur captivité même, s'illustrèrent davantage. C'est qu'en effet , la vertu conserve partout son éclat ;aucun obstacle ne peut la vaincre ni seulement l'arrêter. Que parlé-je de pauvreté, d'esclavage? La faim même, les ulcères, la maladie ne peuvent l'atteindre, bien que la maladie soit pire encore que l'esclavage. Tel on a vu Lazare, tel Job, tel aussi Timothée lequel était visité par de fréquentes infirmités. Vous le voyez donc : la vertu ne peut être vaincue par quoi que ce soit; richesse et pauvreté, servitude et empire, soucis d'administration, maladie, ignominie, exil, la vertu laisse tout s'agiter dans la sphère inférieure de ce bas monde; elle-même arrive au ciel !
Qu'elle trouve seulement une âme généreuse, et dès lors rien, ne pourra empêcher qu'elle n'y entre dans la plénitude de sa force. Dès que l'agent qui devra produire la bonne oeuvre, sera lui-même fort, les choses extérieures ne feront point obstacle. Dans les professions mécaniques, dès que l'ouvrier est habile, patient, maître de son métier enfin, que la maladie vienne, il garde son art; que la pauvreté l'accable, il garde son art; que l'outil soit dans sa main et lui dans l'exercice de son travail, ou qu'il chôme au contraire, son art lui reste toujours et tout entier : son art fait partie de lui-même. Ainsi l'homme vertueux et qui ne dépend que de Dieu, montre sa vertu partout également, dans la pauvreté et dans la maladie comme dans la santé, dans la gloire ou dans les outrages.