5.
«Aussi, mes frères, ayant été pour un peu de temps comme des orphelins, loin de vous par le corps, non par le coeur, nous avons désiré, avec d'autant plus d'ardeur, de jouir de votre présence ». Il ne dit pas, séparé, il emploie un mot plus expressif. Plus haut il a parlé de la flatterie pour montrer qu'il ne flatte pas, qu'il ne recherche pas la gloire. De même qu'il a dit plus haut: « Comme un père envers ses enfants, comme une nourrice », de même ici il emploie une expression de choix, «comme des orphelins » ; ce qui se dit des enfants qui n'ont plus de père. Eh quoi ! ceux-ci sont-ils donc orphelins? Non, dit-il, mais c'est nous. Si l'on médite sur la nature de la douleur, de même que des enfants, en bas-âge, dont nul ne prend soin, qui supportent, avant le temps, une perte cruelle, regrettent amèrement leurs parents, non-seulement par affection naturelle, mais parce qu'ils sont dans l'abandon, de même cela est vrai de nous; de là il montre la douleur que son âme ressentait de la séparation. Et si nous pouvons,nous exprimer ainsi, ce n'est pas que nous ayons été loin de vous longtemps, mais « pour un peu de temps », et cela, « par le corps , non par le coeur. Car nous vous portons toujours dans notre pensée». Voyez la force de l'affection. Quoiqu'il les portât toujours dans son coeur, il recherchait leur vue, leur présence. Qu'on ne m'objecte pas ici une sagesse intempestive ; voilà la marque d'une ardente charité: voir, entendre, converser, c'est une grande consolation. « Nous avons désiré avec d'autant plus d'ardeur », qu'est-ce à dire « avec d'autant plus d'ardeur? » Ou cela veut dire: Nous vous étions fortement attachés, ou, comme il est vraisemblable, après une heure d'éloignement, nous désirions voir votre visage. Voyez, considérez le bienheureux Paul; ne pouvant par lui-même satisfaire son désir, il le fait par des intermédiaires ; comme lorsqu'il envoie, aux habitants de Philippes, Timothée ; à ceux de Corinthe, le même encore; il a recours à des intermédiaires, quand il ne peut pas se rapprocher lui-même; sa tendresse en effet avait des transports invincibles; son amitié était indomptable. C'est pourquoi « nous avons voulu vous aller trouver », c'est l'affection qui tient ce langage. Quoiqu'en ce moment, (193) dit-il, je n'aie pas d'autre besoin que celui de vous voir. « Et moi Paul, je l'ai voulu, une et deux fois; mais Satan nous en a empêchés ».
Que dites-vous, saint apôtre? Satan vous empêche? Oui; ce n'était pas là l'oeuvre de Dieu. Pour les Romains, il leur dit que Dieu l'en a empêché. (Rom. XV, 22.) Et ailleurs, Luc déclare que l'esprit les a empêchés de venir en Asie. (Act. XVI, 6.) Aux Corinthiens, il dit que c'est l'oeuvre de l'esprit; ici, au contraire, que c'est l’oeuvre de Satan. Mais quel est cet empêchement qui vient de Satan ? Des épreuves qu'il ne soupçonnait pas, épreuves violentes; c'est que des piéges lui avaient été tendus par les juifs, et il fut retenu dans la Grèce pendant trois mois. (Act. XX, 3.) Il y a certes une différence entre demeurer de propos délibéré, en vertu d'un projet, demeurer de soi-même, et se trouver empêché. Dans l'épître aux Romains, il dit : « C'est pourquoi, n'ayant plus maintenant aucun sujet de demeurer davantage dans ce pays-ci». (Rom.XV, 23.) Ailleurs : « C'est pour vous épargner que je n'ai point voulu aller à Corinthe ». (II Cor. I, 23.) Ici, au contraire , rien de pareil ; mais quoi ? « Satan nous en a empêchés. Moi Paul, une fois et deux fois ». Voyez quelle recherche de paroles, comme il tient à montrer la vivacité de son affection pour eux : « Moi Paul ». C'est comme s'il disait: Quand même les autres ne l'eussent pas voulu. Les autres se bornaient à vouloir, mais moi j'ai entrepris.