10.
Un voleur a brisé le mur d'une chambre, il s'y est élancé, il a. fait main basse sur de la vaisselle d'or d'un grand prix, sur des pierres précieuses, enfin il a emporté tout un trésor, et ce voleur n'a pas été pris. Voilà un malheur qui paraît lourd à supporter, il semble qu'il y ait là un grave préjudice; il n'en est rien ; il dépend de vous qu'il y ait là, soit préjudice, soit profit. Et comment pourrait-on y trouver un profit, me dites-vous? Je veux essayer de vous en faire la démonstration. Vous n'avez, vous, qu'à vouloir ce qui est arrivé, il y aura un profit considérable; si vous refusez le concours de votre volonté, vous subirez un dommage plus grand que la perte réelle. Il en est ici comme dans l'industrie : la matière première étant donnée , l'ouvrier habile en fait un bon usage ; au contraire, l'ouvrier maladroit la perd, la gâte; il fait si bien qu'elle est, pour lui, une cause de préjudice; il en est de même dans cette circonstance. Comment donc y aura-t-il pour vous un profit? Si vous bénissez Dieu, si vous ne faites pas entendre d'amères lamentations, si vous répétez les paroles de Job: « Le Seigneur m'a donné, le Seigneur m'a ôté : nu, je suis sorti du ventre de ma mère; nu, je m'en retournerai ». (Job. I, 21.) Que dites-vous : « Le Seigneur m'a ôté? » C'est le voleur qui m'a ôté, me réplique-t-on, et comment pouvez-vous dire : « Le Seigneur m'a ôté? » Cessez de vous étonner c'était à propos de ce que le démon lui avait ôté que Job aussi s'écriait . « Le Seigneur m'a ôté ». Or, si ce saint personnage n'a pas craint de parler ainsi, comment pourrez-vous hésiter, quand un voleur vous aura enlevé quelque chose, à dire que c'est le Seigneur qui vous l'a ôté? Quel homme admirez-vous, répondez-moi, celui qui prodigue son bien aux pauvres, ou Job qui fait entendre ces paroles? Job n'a pas -moins de mérite que celui qui donnerait tout son bien aux pauvres, quoiqu'il ne donnât rien alors. Ne dites pas : Il m'est impossible de faire entendre des actions de grâces, ce n'est pas par ma volonté que l'événement est arrivé ; je ne le soupçonnais, ni ne le voulais quand le voleur m'a pris mon bien; quelle pourrait être ma récompense ? Ni Job non plus ne soupçonnait, ni ne voulait ce qui lui est arrivé, est-il besoin de le dire ? toutefois Job a lutté. Eh bien, vous pouvez, vous aussi, mériter une récompense aussi grande que si vous aviez volontairement sacrifié vos biens.
Et c'est avec raison que nous avons, pour celui qui bénit Dieu, au sein des injustices qu'il subit, plus d'admiration encore que pour celui qui donne volontairement ce qu'il possède. Pourquoi? C'est que ce dernier reçoit des éloges qui le soutiennent, il a sa conscience nourrie de bonnes espérances, et ce n'est que quand il se sent assez fort pour supporter la perte de ses biens, qu'il les rejette loin de lui; le (197) premier au contraire, est encore attaché aux richesses qu'on lui arrache par violence. Or, voilà deux conditions qui ne. sont pas les mêmes : Ne s'être rien réservé de ses biens après y avoir renoncé volontairement ; ou, quand on les possède encore, se les voir arracher. Prononcez les paroles de Job, et vous recevrez des trésors, des trésors bien plus considérables que ceux qui furent accordés à Job. Job n'a reçu que le double de ce qu'il possédait auparavant (Job, XLII, 10); mais à vous, le Christ promet le centuple. La crainte de Dieu vous a fait éviter le blasphème? vous n'avez pas recouru aux devins? dans le malheur, vous avez béni Dieu ? C'est comme si vous aviez pris les richesses en dédain; car une pareille conduite suppose nécessairement le dédain des biens de ce monde. Or il n'y a pas égalité de mérite entre la sagesse lentement acquise qui dédaigne ces biens, et la vertu qui supporte tout le coup d'une perte subite. C'est ainsi que la perte devient un profit, que vous ne recevez aucun préjudice, au contraire que vous recevez du démon un bienfait.