3.
Eli bien, supposons donc que le fait s'accomplit maintenant. Si une mort subite, ou, au milieu des villes, un tremblement de terre, si des menaces bouleversent, on le sait , nos âmes; quand nous verrons la terre en éclats, et partout tant de prodiges, quand nous entendrons les trompettes, quand nous entendrons la voix de l'archange plus retentissante que toutes les trompettes, quand nous verrons le ciel s'abaisser sur nous, quand nous le verrons lui-même, Lui, le Roi de l'univers, Dieu, que ressentirons-nous? Ah ! frémissons, je vous en prie, et soyons saisis d'épouvante, comme si le fait allait s'accomplir. Que l'ajournement ne soit pas, pour nous, une pensée qui nous rassure; puisqu'il faut absolument que le fait s'accomplisse, que pouvons-nous gagner à l'ajournement ? Quel tremblement alors ? Quelle épouvante? Avez-vous vu quelquefois des condamnés qu'on mène à la mort? Qu'éprouvent-ils, selon vous, quand ils font le chemin, jusqu'à la porte? Combien faudrait-il de morts pour égaler ce supplice? Que ne voudraient-ils pas et faire et endurer, pour être délivrés de cette sombre nuit qui les enveloppe? J'en ai beaucoup entendu, que la clémence de l'empereur avait rappelés du (222) supplice; ils disaient, au retour, avoir vu des hommes qui ne leur paraissaient pas des hommes; tel était le trouble, la stupeur, le bouleversement de leur âme.
Si la mort du corps produit en nous cette épouvante, quand viendra l'éternelle mort, que ressentirons- nous? Et que dis-je de ceux qu'on mène à la mort? La foule qui les entoure, se compose d'individus qui, pour la plupart, ne les connaissent pas. Supposez, clans cette foule, une personne dont les regards pussent lire au fond de leur âme; qui pourrait être assez dur, assez ferme pour ne pas se sentir abattu, frappé d'anéantissement, glacé par la terreur? Et maintenant, si cette mort, qui en saisit d'autres que nous, si cette mort qui ne diffère en rien du sommeil, produit une impression si profonde sur ceux qui n'ont pas à la subir; à l'heure où nous-mêmes nous tomberons dans un état plus effroyable, quel ne sera pas notre abattement, notre consternation? Non, non; il faut m'en croire, il n'est pas de discours, de paroles, qui égalent l'impression qui nous attend.
Sans doute, me répond-on ; mais Dieu est si bon pour les hommes, et rien de tout cela n'arrivera. Ainsi les Ecritures sont sans valeur? Non, me répond-on ; il n'y a là qu'une menace pour nous porter à la sagesse. Eh bien ! si nous ne nous conformons pas à la sagesse, si nous persévérons dans le mal, Dieu n'infligera-t-il pas le châtiment, répondez-moi? Et par conséquent il ne décernera pas, à la vertu, ses récompenses? Au contraire, me répond- on , récompenser est une conduite conforme à sa nature, et ses bienfaits dépassent nos mérites. Voilà donc votre conclusion pour les récompenses, la promesse est vraie et se réalisera d'une manière absolue; quant aux châtiments, il n'en est pas de même; il n'y a là qu'une menace pour nous épouvanter. Comment m'y prendre pour vous persuader? Je n'en sais rien. Si je dis que « leur ver ne mourra point, que leur feu ne s'éteindra point » (Marc IX, 45) ; si je dis qu'ils s'en iront dans le feu éternel; si je produis devant vous le riche déjà livré au supplice, pures menaces, me direz-vous. Comment m'y prendre pour vous persuader? Satanique pensée qui rend la grâce inutile et qui ne fait que des indolents. Comment l'extirper, cette pensée ? Tout ce que nous vous dirons pris des Ecritures, pures menaces, répondrez-vous; mais cette réponse, suppose qu'elle s'applique à l'avenir, si vous l'objectez à ce qui est arrivé, à ce qui est accompli, est sans valeur. Vous avez tous entendu parler du déluge. Direz-vous aussi, pure menace ? N'est-ce pas là un événement, un fait accompli? Vos discours ne sont que la repétition des discours d'autrefois; durant cent ans, employés à la construction de l'arche , pendant que l'on formait la charpente, pendant que le juste annonçait la vengeance à grands cris, nul ne l'en croyait. Mais aussi pour n'avoir pas cru les paroles de la menace , ils eurent à subir la réalité du châtiment;