8.
Ces réflexions s'appliquent à notre condition ici-bas; mais maintenant là-haut,dites, je vous en prie, que ferons-nous, nous qui aurons tant possédé, mais rien donné, ou très peu de chose, des biens qui auront été en notre pouvoir? comment nous débarrasserons-nous des fruits de notre cupidité? Celui qui veut se débarrasser des fruits de sa cupidité, ne donne pas un peu de beaucoup, il donne beaucoup plus qu'il n'a ravi, et il cesse de pratiquer la rapine.
Ecoutez ce que dit Zachée . « Je rends, de ce que j'ai pris à tort, le quadruple ». (Luc, XIX, 8.) Quant à toi, tu pilles dix mille talents, tu donnes quelques drachmes, à grand'peine encore , et tu crois avoir tout rendu , tu te regardes comme ayant dépassé tes rapines par le don que tu as fait. Or, voici ce qu'il faut faire: d'abord il faut rendre ce que tu as pris, et prélever sur ce qui t'appartient de manière à ajouter à ce que tu as rendu. Le voleur ne restitue pas ce qu'il a pris sans y rien ajouter pour se justifier, souvent il paie, en outre, de sa vie, souvent une transaction s'opère moyennant qu'il donne beaucoup plus : il en est de la cupidité comme du vol. L'avare, en effet, c'est un voleur, c'est un brigand d'une espèce beaucoup plus dangereuse, parce qu'elle est plus tyrannique. Le voleur fait ses coups en cachette, et de nuit; son crime est moins audacieux, il a honte, il a peur en le commettant; mais le cupide, l'avare, dépouillant toute honte, nu-tête, au beau milieu de la place publique, il pille la fortune de tous; c'est un voleur et un tyran tout ensemble; il ne fait pas de trous dans les murs, il n'éteint pas la lumière, il n'ouvre pas le coffre-fort, il n'efface pas les traces de son crime; mais que fait-il donc? Son effronterie a toute l'ardeur de la jeunesse: à la vue de ceux auxquels il vient enlever tout ce qu'ils ont , il ouvre la porte toute grande, il s'élance, rien ne le gêne ni ne l'intimide, il ouvre tout, il force les malheureux à se dépouiller eux-mêmes. Voilà jusqu'où va sa violence que rien n'arrête. L'avare est plus infâme que tous les voleurs ensemble, parce qu'il est plus effronté, parce que c'est un plus cruel tyran. Celui qui souffre des brigandages ordinaires, souffre sans doute, mais il peut goûter une puissante consolation, en ce qu'il est redouté par celui qui lui a fait du tort; mais la victime de l'homme cupide, il lui faut souffrir et l'injustice et les mépris; elle ne peut pas avoir recours à la force, elle n'en serait que plus exposée à la dérision. Dites-moi , un adultère se cache; un autre, au contraire, à la vue du mari, ne se cache pas du tout, lequel des deux fait la blessure la plus cruelle, la plus déchirante? Le dernier sans doute , il ne se contente pas de nuire, il joint à l'injure, le mépris : l'autre a au moins cela pour lui , qu'il redoute celui qu'il a offensé. Il en est de même pour les crimes qui concernent la richesse; celui qui se (239) cache, pour dérober, marque au moins quelques égards, en ce qu'il se cache; au contraire, celui qui pille ouvertement, publiquement, ajoute, au préjudice qu'il fait, même la honte de subir des mépris.
Cessons donc de piller le bien des autres, finissons-en, pauvres et riches. Car ce discours ne s'adresse pas seulement aux riches, mais je parle aussi pour les pauvres. Eux aussi pillent ceux qui sont plus pauvres; parmi les ouvriers, ceux qui ont plus de ressources et de pouvoir, vendent ceux qui sont plus pauvres et plus faibles, infâme commerce, des méchants vendent des méchants , et tous en pleine place publique. Si bien que ce que je veux, c'est exterminer partout l'injustice. Car ce n'est pas à la mesure des choses pillées ou volées qu'il faut juger du crime, il est tout entier dans la volonté libre du ravisseur.
Quant à cette vérité que, les voleurs les plus coupables, les plus tourmentés du mal de la Cupidité, sont ceux qui ne dédaignent pas les plus minces larcins, je sais, je me rappelle que je vous l'ai exposée, je suppose que vous vous en souvenez, vous aussi. Toutefois ne subtilisons pas. Considérons-les comme des riches. Corrigeons-nous, habituons-nous à modérer nos désirs, à ne rien souhaiter plus qu'il ne faut. En ce qui concerne les biens célestes, ne modérons jamais notre désir d'avoir plus, toujours plus encore, que ce désir ne quitte jamais aucun de nous; mais, pour ce qui est de la terre, que chacun se contente de ce qui doit suffire à son usage, et ne recherche jamais rien de plus, afin qu'il nous soit ainsi donné d'obtenir les vrais biens, par la grâce et par la bonté, etc., etc.