4.
Vous le voyez, nous ne faisons rien parla crainte de Dieu, ni par amour pour lui, mais nous agissons par amitié ou par coutume. Quand un ami est absent, nous pleurons, nous gémissons; si nous le voyons mort, nous nous lamentons, bien que nous sachions que ce n'est point une séparation éternelle; mais quand le Christ est éloigné de nous chaque jour, ou
plutôt quand chaque jour nous l'éloignons d nous, nous n'en éprouvons aucune douleur et nous ne pensons pas être malheureux quand nous commettons l'injustice, quand nous ! contristons, quand nous l'irritons, quand noue faisons ce qui lui déplaît. Mais nous ne non contentons point de ne pas le traiter en ami; je vais vous montrer que nous le traitons en ennemi. Comment cela? C'est que « la prudence de la chair, dit l'Écriture, est ennemie de Dieu ». (Rom. VIII, 7.) Or nous nous tenons attachés à cette prudence, et nous persécutons le Christ qui veut accourir à nous; car tel est l'effet des actions mauvaises; nous nous rendons chaque jour coupables des outrages qu'il subit par notre cupidité et nos rapines. Un homme jouit d'une éclatante renommée, parce qu'il célèbre la gloire du Christ et qu'il sert les intérêts de l'Église; eh bien ! nous lui portons envie, parce qu'il fait l'oeuvre de Dieu; nous paraissons ne porter envie qu'à lui, mais elle remonte jusqu'à Dieu lui-même. Nous ne voulons pas que le bien se fasse par d'autres que par nous; qu'il se fasse pour le Christ, mais pour nous; car, si nous le désirions en vue du Christ, il nous serait indifférent qu'il s'opérât par d'autres mains ou par les nôtres.
Car, dites-moi : si un médecin a un enfant menacé de devenir aveugle, et qu'étant lui-même impuissant à le guérir il en trouve un autre capable de le faire, l'écartera-t-il d'auprès de son fils? Non certes, mais il sera prêt à lui dire : Par vous ou par moi, que mon enfant soit guéri. Pourquoi ? Parce que ce n'est pas son intérêt qu'il a en vue, mais celui de son fils. De même aussi nous dirions, si nous considérions la cause du Christ : Par nous ou par un autre, que ce qui est expédient s'opère ; et, comme dit l'apôtre, « par vérité ou par occasion, que le Christ soit annoncé ». (Phil. I, 18.) Écoutez ce que dit Moïse, quand on voulut exciter sa colère, parce que Eldad et Moad prophétisaient : « N'ayez point de jalousie à mon sujet; qui me donnera de voir tout le peuple du Seigneur devenir prophète ? » (Nomb. XI, 29. ) Tout cela vient de l'amour de la renommée. N'est-ce pas là la conduite d'ennemis, d'ennemis déclarés? Quelqu'un vous a- t-il mal parlé? Faites-lui bon accueil. Est-ce possible ? Oui, si vous le voulez. Quel mérite avez-vous, si vous aimez celui qui n'a pour vous que de bonnes (287) paroles? Car vous ne le faites pas pour le Seigneur, mais pour votre renommée. Quelqu'un vous a-t-il fait tort? Faites-lui du bien; car si vous rendez service à ceux qui vous en rendent, vous n'avez rien fait de grand. Avez-vous subi une grande injustice, une grande offense ? Efforcez-vous de rendre le bien pour le mal. Oui, je vous en conjure, agissons ainsi de notre côté; cessons d'offenser et de haïr nos ennemis. Dieu nous ordonne d'aimer nos ennemis, et nous persécutons le Dieu d'amour. Qu'il n'en soit point ainsi. Nous en convenons tous de bouche, mais non tous par nos actions. Telles sont les ténèbres du péché, que ce que nous n'oserions dire, nous l'osons faire. Tirons notre salut de ceux qui nous font tort et outrage, afin d'obtenir ce qui appartient aux amis de Dieu. « Je veux », dit Jésus, « que là où je suis, là soient aussi mes disciples, afin qu'ils voient ma gloire » (Jean, XVII, 24); gloire à laquelle je souhaite que nous arrivions tous en Jésus-Christ Notre-Seigneur, avec qui soit au Père et au Saint-Esprit , gloire, à présent et toujours, et aux siècles des siècles. Ainsi soit-il.