4.
N'ayons donc point tant à coeur de faire nos offrandes et nos prières avec des mains nettes, que de n'offrir que des choses qui soient pures. Le contraire serait ridicule. Que diriez-vous, si l'on frottait avec soin une table pour la rendre propre et nette, et qu'on n'y servît ensuite que des choses dont la saleté ferait horreur? Ne serait-ce pas une moquerie indigne? Que nos mains soient nettes, à la bonne heure, mais de cette pureté que l'eau ne peut donner, et qui est peu de chose; qu'elles aient cette pureté que la justice seule donne et qui est la pureté véritable. Si elles sont pleines d'injustices, lavez-les mille fois si vous voulez, vous n'y gagnerez rien.. « Lavez-vous, soyez purs », dit le Prophète. (Isaïe, I, 16.) Dit-il ensuite : Allez aux fontaines, allez aux bains, allez aux étangs, allez aux fleuves ? Nullement : mais, ôtez, dit-il, la malice de vos âmes. C'est là être pur, c'est là se purifier de ses souillures; c'est là la netteté que Dieu demande. La pureté extérieure sert fort peu, mais la pureté intérieurs nous donne accès auprès de Dieu et nous remplit d'une sainte confiance. La pureté extérieure peut se trouver chez les adultères,la voleurs, les homicides, les impudiques, les fornicateurs et les infâmes de toute espèce; à surtout chez eux. Ils ont un soin extrême de cette propreté du corps dont ils sont idolâtres, se parfumant des odeurs les plus exquises, et lavant leur corps qui n'est plus qu'un sépulcre, puisqu'il renferme une âme qui ne vit plus. Ils ont donc la pureté extérieure, mais ils ne peuvent avoir la pureté intérieure, Qu'avez-vous fait de considérable en nettoyant votre corps ? C'est une purification judaïque inutile et superflue, si la pureté intérieure vous manque. Qu'un homme ait le corps plein de pourriture et d'ulcères, il aura beau se laver le corps, ce sera en vain. Si donc l'eau ne peut servir de rien au dehors à un corps corrompu et rempli d'infection, de quoi pourrait-elle servir quand c'est l'âme elle-même qui est empire de corruption?
Il nous faut des prières pures; orles prières ire sauraient être pures, lorsque l'âme d'et elles sortent est souillée. Rien en effet ne rend l'âme plus impure que l'avarice et la rapine, Cependant beaucoup de personnes, après avoir commis une infinité de crimes pendant le jour, se lavent le soir, entrent hardiment dans l'église, et lèvent leurs mains pour prier; comme si par cette eau ils- en avaient ôté toutes les souillures. Hélas !si cela était, j'avoue que ces bains où vous allez tous les jours,vous seraient très-avantageux. Je m'y trouverais moi-même souvent, s'ils avaient la vertu de purifier nos péchés. Mais ce sont là des plaisanteries, des niaiseries, des puérilités. Ce n'est point de la saleté des corps, mais de l'impureté des âmes que Dieu a horreur, «Bienheureux», dit-il, «ceux qui sont purs de coeur (entendez-vous, purs de coeur, non de corps), parce qu'ils verront Dieu ». (Matth. II, 5, 8: ) Et le Psalmiste, que dit-il ? « Créez en moi un coeur pur, ô Dieu », (Ps. XII.) « Purifiez votre coeur de la malice », dit Jérémie. ( Jér. IV, 14.) Il est très-avantageux de prendre de bonne heure de bonnes habitudes. C'est peu de chose que celle dont nous parlons; cependant l'âme n'ose se présenter devant Dieu pour prier avant que de s'en être, (381) acquittée. Nous nous lavons, et ensuite nous prions comme s'il ne nous était pas permis de prier avant que de nous être lavés. Nous ne prions point Dieu de bon coeur, si nous n'avons auparavant cette pureté des mains; nous croirions l'offenser en priant sans cette précaution, et souiller notre conscience. Si cette coutume qui, comme j'ai dit, est peu importante, a tant de force néanmoins que c'est pour nous une espèce de nécessité de nous en acquitter tous les jours, qui peut douter que si nous avions pris la même habitude pour taire l'aumône avec la ferme résolution de rentrer point les mains vides dans la maison de prière, nous ne nous en acquittassions avec la même fidélité? Et j'ajoute avec la même facilité?Car la force de l'habitude est extrême, soit dans le bien, soit dans le mal. Quand elle nous entraîne, rien ne nous coûte plus.
Il y en a beaucoup qui ont pris l'habitude de faire sur eux-mêmes des signes de croix continuels. Dès lors ils n'ont plus besoin qu'on les avertisse de le faire, ils le font comme naturellement, et souvent lorsque leur esprit est ailleurs; cette coutume qu'ils ont prise est comme un maître animé qui les avertit et conduit leurs, mains dans l'impression de ce signe sacré. D'autres se sont accoutumés à ne jurer jamais, ni de bon gré, ni de force; et alors ils ne peuvent plus jurer. Habituons-nous de même à faire l'aumône et nous n'y trouverons plus aucune peine. Combien aurions-nous besoin de nous fatiguer pour trouver un autre remède- qui fût aussi puissant et aussi efficace ? Si, étant aussi chargé de péchés que nous le sommes, nous n'avions cette consolation entre les mains, combien gémirions-nous dans le désir de pouvoir racheter nos péchés avec de l'argent ! Ne donnerions-nous pas de bon coeur tout notre bien pour apaiser la colère de notre juge ? Si dans les grandes maladies, on dit de plusieurs personnes: si l'on pouvait se racheter de la mort, cet homme donnerait tout son bien pour le faire; ne s'y résoudrait-on pas avec beaucoup plus d'empressement encore pour se racheter des rigueurs du jugement suprême? Admirez quelle est la bonté de Dieu. Il ne vous a pas donné les moyens de vous racheter de la mort temporelle, mais il fait qu'il dépend de vous de vous racheter d'une plus terrible, de la mort éternelle. Ne pensez point, dit-il, à vous conserver une vie si courte et si misérable; travaillez à vous en acquérir une heureuse qui n'aura jamais de fin. C'est cette dernière que je veux vous vendre et non l'autre. Je ne veux pas vous tromper. Je sais, quand vous auriez celle-ci, que vous n'auriez rien : mais je connais le prix de celle que je vous réserve. Je ne ressemble pas à ces marchands qui ne pensent qu'à tromper, et à vendre cher ce qui en soi vaut peu de chose. Ce n'est pas là ma conduite, pour peu de chose, je donne beaucoup.
Dites-moi, si, entrant chez un joaillier, vous voyez là deux pierres, l'une tout à fait commune et de nul prix, l'autre fort précieuse constituant à elle seule une fortune, et que, payant le prix de la pierre commune, vous reçussiez du vendeur la pierre précieuse, feriez-vous à celui-ci un grime de sa générosité ? Point du tout, vous l'admireriez au contraire. C'est ainsi que l'on vous traite. On vous propose deux vies, l'une temporelle et l'autre sans fin. Dieu en est le vendeur; mais il lui plaît de nous livrer celle-ci et non celle-là, pourquoi nous fâcher comme des enfants sans raison de ce que nous recevons la précieuse et non pas l'autre ? — Peut-on acheter la vie avec de l'argent, dites-vous ? On le peut, pourvu que nous donnions de notre bien et non du bien d'autrui. — Mon bien est à moi, dites-vous, — ce que vous volez n'est pas à vous; quand vous diriez mille fois que vous en êtes maître, il ne vous appartient pas. Qu'on mette un dépôt entre vos mains; il est chez vous pendant l'absence de celui qui vous l'a confié; direz-vous pour cela qu'il vous appartient ? Si donc lorsqu'un ami met ce dépôt entre vos mains, et vous sait gré de le vouloir bien garder, vous ne pouvez néanmoins dire qu'il soit à vous, pendant le temps même qu'il est dans votre maison, combien moins pouvez-vous le dire d'un argent que vous enlevez aux autres malgré eux et par violence ? Il leur appartient toujours quoi que vous puissiez dire et faire. Il n'y a que la vertu qui soit réellement. à nous. Quant à l'argent, le nôtre ne nous appartient même pas, loin que celui des autres nous appartienne. Il est à nous aujourd'hui, et demain il n'est plus à nous. La vertu au contraire est à nous, car elle ne se perd pas comme l'argent, elle reste tout entière à ceux qui la possèdent. Acquérons-la donc et méprisons les richesses, afin que nous puissions être trouvés dignes des vrais biens. Ainsi soit-il.