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Toute la vie des anciens était en action et en lutte; il n'en est pas de même de la nôtre, elle est pleine de négligence. Ceux-là savaient qu'ils avaient été mis au monde pour travailler en se conformant à la volonté du Créateur; niais nous, il semble que :nous soyons nés pour manger, boire et vivre dans la mollesse, tant nous faisons peu de cas des choses spirituelles ! Je ne parle pas des apôtres seulement, mais encore de ceux qui sont venus après eux. Voyez-les donc parcourir tous les pays, et, se livrant tout entiers à cette occupation, vivre toujours sur la, terre, étrangère : on croirait qu'ils n'avaient pas de patrie sur la terre.
Ecoutez ce que dit le bienheureux Paul : « La raison pour laquelle je t'ai laissé en Crète » : il semble que se distribuant le monde tout entier, comme ils eussent fait pour une seule maison, ils administraient ainsi toutes choses et étendaient leur vigilance à tous les lieux, l'un se chargeant de telle région et l'autre de telle autre. — « La raison pour laquelle je t'ai laissé en Crète, c'est afin que tu mettes en bon ordre les choses qui restent à régler ». Il ne prend pas un ton de commandement, : « Afin que tu mettes en bon ordre », dit-il. Voyez-vous comme il a l'âme pure de toute jalousie, comme il recherche partout l'intérêt de ses disciples , comme il ne se demande pas si c'est lui ou un autre qui gouvernera? Là où il y avait le plus de dangers et de difficultés il allait en personne mettre les choses en ordre. Mais ce qui rapportait plus de gloire sans mériter autant d'éloges, il le confie à son disciple, j'entends par là l'ordination des évêques et toutes les autres choses qui avaient besoin d'être redressées, ou plutôt, pourrait-on dire, qui avaient besoin d'une plus grande perfection. — Que dis-tu, je t'en prie? Il mettra en bon ordre ce qui t'est soumis, et tu ne regardes pas cela comme une honte ni comme un déshonneur pour toi ? Pas le moins du monde, car je ne pense qu'à l'intérêt de l'Eglise; et que ce soit par moi ou par un autre que tout aille bien, peu m'importe. — Tels doivent être les sentiments d'un bon pasteur, il ne doit pas rechercher sa propre gloire, mais l'utilité de tous. — « Et que tu établisses des prêtres de ville en ville», cela veut dire des évêques, comme nous l'avons expliqué ailleurs. — « Suivant que je t'ai ordonné, ne choisissant aucun homme qui ne soit irrépréhensible ». — « De ville en ville », dit-il, car il ne voulait pas que toute l'île fût à la charge d'un seul, mais chacun devait avoir sa part de soucis et d'inquiétudes. En effet, la fatigue serait moins grande et les fidèles seraient gouvernés avec plus de sollicitude du moment qu'un seul maître ne se contenterait pas de parcourir un grand nombre d'églises, mais que chacune d'elles serait confiée à un évêque et embellie par ses soins.
« Ne choisissant aucun homme qui ne soit irrépréhensible, mari d'une seule femme, et dont les enfants soient fidèles, et qui ne soient pas accusés de dissolution, ni désobéissants». Pourquoi nous offre-t-il ce portrait? Il ferme la bouche aux hérétiques qui condamnent le mariage, en montrant que l'union des époux n'est point blâmable, et qu'elle est au contraire si honorable qu'un homme marié peut monter sur le siège épiscopal. Mais (412) en même temps il flétrit les incontinents en ne leur permettant pas d'obtenir cette dignité après un second mariage. Car comment l'homme qui n'a gardé aucun amour pour la femme qu'il a perdue , pourra-t-il être un bon pasteur de l'église? Quels reproches ne l'atteindront pas ? Vous savez tous en effet, vous savez qu'un mariage en secondes noces, bien qu'il ne soit pas interdit parles lois, offre pourtant matière à de nombreuses accusations. — Ainsi il ne veut point qu'un pasteur se présente devant les fidèles avec une seule tache. C'est pourquoi il dit : « Aucun homme « quine soit irrépréhensible ». C'est-à-dire dont la vie soit pure de toute faute et qui n'offre aucune prise à celui qui voudra l'examiner. Ecoutez les paroles de Jésus-Christ : « Si la lumière qui est en toi n'est que ténèbres, combien seront grandes les ténèbres mêmes ». (Matth. VI, 23.) —. « Dont les enfants soient fidèles et qui ne soient pas accusés de dissolution, ni désobéissants». Considérons comme il porte sa sage prévoyance jusque sur les enfants. En effet, comment celui qui n'a pu former ses enfants, formerait-il les autres? Si ceux qu'il a eus dès leurs premiers jours avec lui, qu'il a nourris, et sur lesquels la loi et la nature lui donnent autorité, il n'a pas pu les instruire, comment pourra-t-il être utile aux autres? Si le père n'avait pas eu la plus grande négligence, il n'aurait pas souffert que ceux qui étaient sous son autorité devinssent méchants. Il n'est pas possible, non il n'est pas possible qu'après avoir été élevé dès les premières années avec la plus grande sollicitude, qu'après avoir été entouré des plus grands soins , on devienne pervers : car il n'y a pas de défauts naturels que ne puisse vaincre une telle diligence. Si, ne plaçant qu'en seconde ligne l'éducation de ses enfants, un père s'applique à acquérir des richesses et a plus d'amour pour elles que pour sa famille, c'est un homme indigne. Car si malgré la loi de la nature il a eu tant d'insensibilité ou de démence qu'il s'est montré plus inquiet pour ses biens que pour ses enfants , comment pourrait-il monter sur le trône épiscopal et mériter une telle dignité? S'il n'a pas pu corriger ses enfants, quelle insouciance ne peut-on pas lui reprocher? S'il ne s'en est pas occupé, quelle insensibilité ne petit-on point blâmer en lui ? Comment donc celui qui n'a pas pris soin de ses enfants, prendra-t-il soin des étrangers?
Et l'apôtre ne dit pas seulement que les fils de l'évêque ne doivent pas être dissolus, mais il ne veut pas même qu'on puisse les accuser de l'être ni qu'ils aient une mauvaise réputation. « Car il faut que l'évêque soit irrépréhensible, comme étant dispensateur dans la maison de Dieu, non superbe, non colère, non sujet au vin, non batteur (7) ».