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Le caractère de la foi est d'exiger une virilité d'âme, une jeunesse de coeur, une force qui nous élève au-dessus des choses sensibles, et qui laisse loin derrière elle la faiblesse des raisonnements humains. Il est impossible d'être vraiment fidèle, qu'a une condition : c'est qu'on se place au-dessus de tonte habitude vulgaire. Or, précisément, les Hébreux avaient laissé faiblir leurs âmes; après avoir débuté par la foi, ils avaient subi l'influence des événements; les troubles de coeur et les afflictions du dehors les avaient rendus pusillanimes; leur déchéance allait croissant. C'est pour les relever et leur rendre le courage, que l'apôtre a fait d'abord appel à leur première vertu, en disant : « Souvenez-vous de vos premiers jours ». Puis, invoquant l'Écriture sainte, il leur a dit avec elle : « Le juste vivra de la foi ». (Habac. II, 4.) Enfin, employant aussi le raisonnement, il a défini la foi, « la substance des choses que nous devons espérer, et la conviction de celles que nous ne voyons pas encore ».
A présent, il rappelle le témoignage et l'exemple de leurs ancêtres, de ces hommes si grands et si admirables, et leur dit équivalemment : Si pouvant jouir à discrétion des biens de la terre, ils ont cependant fait leur salut par la foi, combien plus cette voie doit-elle être la nôtre! Notre âme est ainsi faite que quand elle trouve un compagnon de souffrances, elle se calme et respire. Si la communauté d'afflictions console, la communauté de foi a le même avantage : « On se console mutuellement par la communauté de la même foi ». Car notre nature humaine est infidèle, défiante à l'excès; elle ne peut se confier en elle-même, elle craint pour les biens qu'elle croit posséder, elle a grand souci de l'opinion. Que fait donc saint Paul ? Il les relève et les exhorte d'après les exemples de leurs ancêtres, remontant même aux faits précédents et qui sont connus du genre humain. Comme on reprochait à la toi d'être un Tain système que l'on ne peut ni prouver ni démontrer, et qui semble même une duperie, l'apôtre fait voir que les plus grandes vérités et les plus grandes vertus sont dues à la foi et non au raisonnement.
Et comment le prouve-t-il, direz-vous? « C'est par la foi », avance-t-il, « que nous savons que le monde a été fait par la parole de Dieu, de sorte que de l'invisible a jailli le visible ». Il est évident, dit l'apôtre, que de ce qui n'était pas, Dieu a fait ce qui est ; de ce qui ne se peut voir, il a fait ce qu'on voit; de ce qui n'a ni corps ni consistance, il a fait les corps et les êtres consistants. Et comment est-il évident que la parole divine a tout fait? Car la raison ne suggère point cette vérité ; elle enseignerait plutôt le contraire, savoir que ce qui ne parait point vient de ce qui parait. Ainsi, les philosophes disent que de rien, rien ne se fait, parce que le philosophe, homme animal, n'accorde rien à la foi. Et cependant quand la sagesse humaine proclame une maxime noble et grande, quand, par exemple, elle avance que Dieu n'a point de principe qui le crée ni qui lui donne naissance, aussitôt elle est prise en flagrant délit d'emprunt à la foi : car la raison ne révèle point ce fait, mais plutôt tout l'opposé. Or voyez un peu l'immense folie de ces soi-disant sages. Ils disent que Dieu est incréé, sans principe, ce qui est bien autrement étonnant que d'être tiré du néant : car avancer de Lui qu'il est ainsi sans principe, ainsi incréé, qu'il ne doit sa naissance ni à lui-même, ni à aucun autre, voilà une proposition bien autrement inexplicable que celle qui dit : Dieu a fait de rien tout ce qui est. Il y a en ceci beaucoup de choses que la raison admet sans peine, par exemple, que Dieu a fait quelque chose, que les êtres faits ont eu un commencement, qu'ils ont été vraiment et absolument faits et créés. Mais l'autre vérité proclame Dieu existant par lui-même, spontanément, sans recevoir la naissance, sans avoir eu de commencement, sans être soumis au temps : cette affirmation, dites-moi, n'a-t-elle pas besoin de foi pour qu'on l'admette ?
Cependant l'apôtre n'a pas proposé cette première vérité bien autrement sublime, et il n'a (544) avancé que la seconde, bien inférieure : « La foi », a-t-il dit, «nous apprend que le monde a été créé par la parole de Dieu». Vous objecterez ici Comment pouvez-vous dire que Dieu d'une parole ait fait toutes choses? Car la raison ne le découvre pas, et personne n'était présent à ce moment de la création. Qui donc la prouve? — La foi, oui, la foi, qui seule ici vous donne l'intelligence; aussi a-t-il dit , que nous le savons par la foi. — Mais par cette expression « la foi », qu'entendons-nous? Que de l'invisible a jailli le visible. Voilà l'objet de la foi.
Après avoir exprimé cette vérité d'une manière générale, l'apôtre la poursuit dans ses applications particulières; car un grand homme est comme un petit univers. Saint Paul le donnera lui-même à entendre dans la suite. En effet, quand il aura fait sa preuve par l'exemple de cent ou de deux cents personnages qu'il va faire comparaître devant nous, il s'apercevra que ce nombre de témoins est petit comme quantité, mais il le grandira en ajoutant que du moins « le monde n'en était pas digne ». (Hébr. XI, 38.)
« C'est par la foi qu'Abel offrit à Dieu une plus excellente hostie que Caïn (4) ». Remarquez quel personnage il nomme le premier : c'est aussi le premier qui ait souffert, et qui ait souffert de la main de son frère, lequel pourtant est resté impuni, et n'a encouru que la haine de Dieu. Voilà, pour les Hébreux, l'exemple d'une persécution semblable à la leur, puisqu'ils étaient persécutés par leurs frères : « Et vous aussi », avait-il dit, «vous avez souffert les mêmes indignités de la part même de vos concitoyens». (I Thess. II,14.) Et il démontre que ceux-ci, nouveaux Caïus, obéissent à l'envie et à la haine. Abel honora Dieu, et mourut même pour l'avoir honoré; et il n'a pas encore obtenu la résurrection. Abel a signalé son zèle, il a fait tout ce qu'il devait faire; mais ce que Dieu, en retour, doit faire pour lui, Abel ne l'a pas encore reçu. L'apôtre appelle ici « une plus excellente hostie », une hostie plus honorable, plus glorieuse, plus filiale. Et nous ne pouvons pas prétendre, dit-il, qu'elle n'ait pas été acceptée; car elle a été reçue, si bien que Dieu disait à Caïn : « Je te refuse, si tu offres bien , mais que tu partages mal » (Gen. IV, 7); ce qui indique qu'Abel offrit bien et partagea également bien. Et pourtant de justice, quelle récompense a-t-il reçue? Il fut tué de la main de son frère; et la condamnation que son père entendit prononcer pour son péché, Abel, qui s'était conduit saintement, la subit le premier, et fut frappé d'autant plus cruellement qu'il le fut ainsi et le premier et par la main d'un frère. Et ces vertus, il les pratiqua sans exemple précédent qu'il pût contempler. Qui, en effet, aurait-il pu considérer pour s'animer à servir Dieu? Son père ou sa mère? Mais au lieu de reconnaître les bienfaits divins, ceux-ci avaient déshonoré Dieu. Son frère, peut-être? Mais celui-ci, à son tour, outrageait le Seigneur. Il ne puisa donc la vertu que dans son propre coeur. Or, étant digne de tant d'honneur, que souffrit-il cependant? Une mort violente. L'apôtre lui adresse encore une autre louange : «Par sa foi », dit-il, « il reçut le témoignage qu'il était juste; Dieu lui-même rendant ce témoignage aux offrandes d'Abel; par cette foi, enfin, il parle encore après sa mort ». Mais quel autre témoignage a-t-il reçu, et qui l'a déclaré juste? C'est le feu du ciel, qui, dit-on, descendit et consuma ses victimes. Car il est dit de lui : « Dieu regarda favorablement Abel et ses sacrifices»; et une version ajoute, que Dieu les consuma. Or, quoique ayant rendu par ses paroles et ses miracles ce témoignage à la vertu d'Abel, tout en le voyant périr à cause de sa foi en lui, Dieu ne le vengea pas, et laissa sa mort impunie.