4.
L'heure est venue par conséquent d'apostropher le ciel, puisque personne n'écoute plus notre voix: il nous faut faire appel aux éléments : « Ciel, écoutez; terre, prête l'oreille! car le Seigneur a parlé ». (Isaïe, I, 2.) O vous qui n'êtes pas encore engloutis, donnez la main, offrez le bras à tant d'infortunés; vous dont l'intelligence est saine encore, secourez tant de gens perdus par leur ivresse; sages, secourez les êtres en démence; coeurs fermes et solides, n'oubliez pas les âmes ballottées par leurs passions. Je vous en conjure, sacrifiez tout au salut de cet ami pécheur; et que vos réprimandes et vos supplications n'aient qu'un but, son intérêt. Quand la maladie envahit une maison, les esclaves mêmes dominent leurs maîtres atteints de la fièvre; tant qu'elle est là, en effet, troublant les âmes et menaçant les vies, toute la troupe de serviteurs présents à ce spectacle ne reconnaît plus la loi du maître au détriment du maître. Convertissons-nous, je vous en supplie : guerres de chaque jour, inondations, morts de tous côtés menaçantes et sans nombre, la colère de Dieu, enfin, nous environne de toutes parts. Et l'on nous voit aussi calmes, aussi exempts de crainte, que si nous étions agréables au souverain Maître ! Nos mains sont toutes et toujours disposées à s'enrichir par l'avarice; aucune n'est prête à secourir par charité; tous acceptent le rôle de ravisseur, aucun celui de défenseur. Chacun n'a que l'idée fixe d'augmenter ses richesses; aucun, la pensée de venir en aide à l'indigent. Tous n'ont qu'une crainte et la formulent ainsi : Nous ne voulons pas être pauvres! mais personne. ne tremble ni ne frissonne, de peur de tomber en enfer. Voilà ce qui mérite nos lamentations, ce qu'on ne saurait trop accuser, trop blâmer !
Je ne voulais pas vous tenir ce langage; mais la douleur m'y force. Oui, pardonnez à cette douleur qui, malgré moi, me fait parler contre mon coeur. Je vois des menaces terribles, des malheurs auxquels on ne peut apporter de consolation; les maux qui nous ont envahis sont au-dessus de tout soulagement humain : nous sommes perdus! « Qui donnera de l'eau à ma tête, et à mes yeux une source de larmes » (Jérém. IX, 1), pour pleurer dignement? Oui, pleurons, mes frères, pleurons et gémissons. Il en est peut-être qui disent : Il ne nous parle que de lamentations, il ne veut que des larmes ! Ah ! c'est bien malgré mon coeur, croyez-le; c'est bien malgré mon coeur; je voudrais plutôt vous donner continuellement l'éloge et les louanges ! Mais c'est maintenant le temps des pleurs ! Et ce n'est pas le gémissement qui est pénible, ô mes bien-aimés; c'est plutôt qu'on commette ce qui mérite le gémissement. Ce ne sont pas les larmes qu'il faut éviter, mais les actions qui méritent les larmes. Ne soyez pas punis, et je cesse de gémir; ne mourez point, et mes larmes s'arrêtent. Mais quoi ! devant un cadavre vous demandez à tous un tribut de pitié, vous appelez cruels ceux qui ne gémissent point, et vous voulez que je ne pleure pas une âme qui périt! Mais puis-je être père sans pleurer ? car je suis votre père, plein de bon vouloir et d'amour. Ecoutez ce cri de Paul : « Mes petits enfants, que je mets au monde dans la douleur ! » (Gal. IV, 19.) Quelle mère dans l'enfantement pousse des cris plus douloureux? Plût à (551) Dieu que vous puissiez voir ce feu qui me dévore; vous avoueriez que je suis brûlé par le chagrin, tout autant qu'une mère ou qu'une épouse jeune encore, et veuve avant le temps! (:elle-ci pleure moins son époux, un père pleure moins son fils, que je ne gémis sur cette multitude des nôtres chez lesquels je n'aperçois aucun progrès dans le bien.
On n'entend retentir que calomnies ou médisances cruelles. Lorsque chacun devrait uniquement se faire un devoir de servir Dieu, on entend dire : Parlons mal d'un tel et d'un tel; de celui-ci encore qui n'est pas digne d'appartenir au clergé, tant sa conduite est honteuse et déshonorante. Il nous faudrait déplorer nos péchés personnels, et nous jugeons les autres; lorsque nous n'aurions pas ce droit, quand même nous serions purs. de tout péché. Car, dit l'apôtre, « qui donc vous distingue? Qu'avez-vous que vous n'ayez reçu? Et si vous l'avez reçu, comment vous en glorifiez-vous comme si vous. ne l'aviez pas reçu?» (I Cor. IV, 7.) Et vous, comment jugez-vous votre frère, étant vous-même couvert de plaies sans nombre ? Quand vous aurez répété de lui: C'est un méchant, un pervers, un scélérat, ramenez votre pensée sur vous-même; sondez-vous, examinez-vous avec soin, et vous regretterez ce que vous aurez dit. Car aucune exhortation au monde, non, aucune ne vaut le souvenir de vos péchés. Si nous pratiquons au reste ces deux -points, nous pourrons gagner les biens promis, nous pourrons nous laver et nous purifier. Ayons seulement bien soin d'y penser et de porter là tous nos efforts, mes bien-aimés frères; livrons-nous en cette vie à la sainte douleur de l’âme, afin d'éviter dans l'autre l'inutile douleur du supplice; ainsi nous jouirons du bonheur éternel, d'où seront bannis la douleur, le deuil, le gémissement; ainsi nous atteindrons les biens impérissables qui surpassent toute intelligence humaine, en Jésus-Christ Notre-Seigneur à lui soit la gloire , aux siècles des siècles. Ainsi soit-il.