3.
Voulez-vous un exemple de pénitence parfaite ? Ecoutez celle de Pierre après son reniement. L'évangéliste nous raconte sa conduite par un seul trait : « Il sortit,», dit-il, « et pleura amères ment ». Un péché aussi énorme lui fut donc remis, parce qu'il fit pénitence comme il le devait. Et pourtant le sacrifice sanglant n'avait pas encore été offert ; la victime n'avait pas encore été immolée ; le péché n'avait pas encore été détruit, et continuait à exercer son règne et sa tyrannie. Mais il faut que vous sachiez que ce reniement fut l'effet moins de sa lâcheté que de l'abandon de Dieu, qui voulut le dresser à connaître la juste mesure des forces humaines, à ne jamais résister aux paroles que lui adressait son maître, à ne jamais s'élever au-dessus des autres; à savoir que sans Dieu nous ne pouvons rien faire, et « Que si le Seigneur ne bâtit point la maison, en vain travaillent ceux qui la construisent ». (Ps. CXXVI,1.) Ecoutez donc comment Jésus-Christ l'avertit spécialement , l'admoneste nommément et seul
« Simon, Simon, Satan a demandé de te cribler, comme on crible le froment; mais moi j'ai prié pour toi, pour que ta foi ne défaille point 1 ». (Luc, XXII, 31, 32.) Car, comme très-probablement Pierre se complaisait en lui-même et s'élevait en son coeur, parce qu'il avait la conscience d'avoir plus que ses frères l'amour pour Jésus-Christ; pour cette raison, Dieu permet qu'il pèche et renie son Maître. Mais aussi, pour ce fait, il pleure amèrement; et la conduite qu'il tient ensuite, se conforme à ses pleurs amers. Car que n'a-t-il pas fait en ce sens? Il s'est jeté dans des périls sans nombre, et a donné mille preuves de sa force d'âme et de la solidité de son courage.
Judas aussi a fait pénitence, mais d'une façon déplorable, puisqu'il a fini par une strangulation volontaire. Esaü aussi a fait pénitence, comme je l'ai dit; ou plutôt il n'a point fait pénitence, puisqu'il a versé des larmes d'orgueil et de fureur plutôt que de repentir, comme sa conduite subséquente l'a trop prouvé. Le bienheureux David a fait pénitence, et ses paroles nous le déclarent : « Je laverai chaque nuit mon lit de mes pleurs; j'arroserai ma couche de mes larmes » (Ps. VI, 7) et le péché ancien qu'il avait une seule fois commis, il le pleurait après tant d'années, après tant de générations, comme si son malheur avait été d'hier.
C'est qu'en effet le vrai pénitent ne doit point se livrer à la colère, à la fureur, mais garder l'attitude brisée d'un condamné de la veille, qui n'a plus le droit d'ouvrir la bouche, dont la sentence est prononcée, que la miséricorde seule peut sauver encore, qui reconnaît son ingratitude publique envers le souverain bienfaiteur, et s'avoue enfin un réprouvé digne de tous les supplices imaginables. Rempli de ces pensées, il n'éprouvera ni colère, ni indignation ; mais il s'épanchera en pleurs, en gémissements, en sanglots et le jour et la nuit.
Le vrai pénitent, encore, ne devra jamais oublier son péché, mais prier Dieu de vouloir bien ne plus se souvenir de cette faute, dont il gardera, lui, toujours la mémoire. Ici, en effet, si nous nous souvenons, Dieu oubliera; sachons, oui, nous accuser franchement et nous punir sévère.. ment, et nous apaiserons notre Juge. Le péché que vous aurez confessé, déjà s'atténue; il s'aggrave au contraire, si vous n'en faites l'aveu.
Que le péché se double, en effet, d'ingratitude et d'effronterie, dès lors ses progrès sont irrésistibles car comment pourrait-on veiller à ne point faire de chute nouvelle, si l'on ignore même qu'on ait péché dans une première occasion? Ainsi, je vous en prie, gardons-nous de nier nos péchés; évitons pareille impudence , de peur de la payer à regret et bien chèrement un jour. Caïn entendit cette parole de Dieu : « Où est ton frère Abel ? » Il y répondit : « Je ne sais ; suis-je donc le gardien de mon frère ? » (Gen. IV, 9.) Voyez-vous comme il aggrava son crime? Ainsi n'avait pas agi son malheureux père, qui, interrogé par le Seigneur en ces termes : Adam, où es-tu ? avait répondu en tremblant : « J'ai entendu votre voix, et j'ai craint parce que je suis nu, et je me suis caché », (Gen. III, 9.)
C'est un grand bien que de se souvenir constamment de ses péchés; aucun remède n'est plus efficace contre une faute commise que d'en garder toujours la mémoire; et d'ailleurs, rien ne contribue davantage à vous arrêter sur le chemin du vice. La conscience ici regimbe, je le sais, et ne se laisse point ainsi flageller par le souvenir de ses misères : mais sachez dompter votre coeur et lui serrer le frein. Pareil au coursier sauvage, difficilement il se soumet ; il ne veut pas se persuader qu'il ait péché : et dans cette répugnance, évidemment on reconnaît l'oeuvre de Satan. Mais nous, convainquons-le de ses crimes, pour le décider aussi à faire pénitence, et pour le sauver du supplice par l'acceptation de ce remède salutaire.
Comment espérez-vous, dites-moi, mériter le pardon de vos péchés, si vous ne les avez pas encore confessés? Certes, par son état même, le pécheur est trop digne de pitié et de miséricorde. Mais, si vous n'avez pas même l'intime persuasion que vous ayez péché, comment croiriez-vous devoir implorer miséricorde, , lorsque jusque dans vos crimes, vous gardez l'impudence? Persuadons-nous bien que nous avons péché. Ne le disons pas de bouche seulement, mais de coeur et de conviction. Non contents même de nous avouer pécheurs, examinons nos fautes en détail, déclarons - les toutes et chacune spécialement. Je ne vous dis pas de vous affliger en les déclarant, ni de vous accuser en face de vos frères mais simplement d'obéir à cette parole du Prophète : « Déclarez à Dieu toutes vos voies ». (Ps. XXXVI, 5.) Confessez donc vos péchés à Dieu; confessez vos péchés au Juge, avec une prière, sinon des lèvres, au moins du souvenir, et implorez ainsi sa miséricorde.
Si vous gardez ainsi constamment la mémoire de vos péchés, jamais vous n'aurez de haine contre le prochain, jamais vous ne conserverez le ressentiment des injures. Je ne dis pas seulement Si vous avez l'intime persuasion que vous êtes un pécheur; cette pensée ne vous donne pas, à beaucoup près, l'humilité et le mépris de vous-même , autant que le fera un examen personnel et spécial de chacune de vos fautes. Grâce à ce perpétuel souvenir de vos misères, vous ne haïrez plus, vous ne garderez point rancune, vous n'aurez ni colère, ni expressions de malédictions ; vous ne serez plus orgueilleux ; vous n'éprouverez plus de rechutes dans les mêmes fautes; vous serez plus ardent au bien.
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En lisant ce passage tout entier, on en tirera la conclusion toute contraire à celle qu'y a cherchée le Jansénisme. On dira, avec saint. Augustin, parlant du Dieu juste et bon : Non deserit, nïsi deseratur. Et la prière spéciale de Jésus-Christ pour Simon prouvera encore que cet abandon de Dieu n'est certes point un refus de la grâce. ↩