9.
Que Dion s’appuie maintenant de l’autorité d’Homère et de Phidias: le poète et le sculpteur donnent à Jupiter une chevelure longue et épaisse; il n’a qu’à la secouer pour faire trembler à son gré l’Olympe. Le Jupiter que nous voyons dans le ciel,1 nous savons tous quel il est. En existe-t-il un autre? Et s’il existe, a-t-il un corps? Je l’ignore. Admettons, si l’on veut, qu’il existe; dans tous les cas il est antérieur ou postérieur à celui qui frappe nos yeux; il en est donc ou le modèle ou l’image:2 toujours est-il qu’entre les deux Jupiter il doit y avoir autant de ressemblance que le permet la différence de leur nature. Or la poésie, la sculpture et tous les arts d’imitation se soucient peu du vrai; leur but est surtout de plaire à la foule, en flattant ses préjugés, aux dépens de la vérité. Les ignorants tiennent la chevelure en grande estime; le vulgaire attache beaucoup de prix aux choses extérieures, telles que des champs, des voitures, des maisons, des meubles, et tous ces faux biens qui n’appartiennent pas en propre à leur possesseur, et ne font point partie de lui-même, pas plus que les cheveux. On s’éloigne ainsi de la raison et de Dieu, et l’on obéit, non plus à la raison et à Dieu, mais à la nature et à la fortune: alors on ne recherche que ce qui est étranger à l’homme. Les insensés font consister le bonheur dans les dons de la fortune et de la nature. Si l’on écrit, si l’on parle pour le peuple, il faut se faire peuple par les préjugés, ne dire et ne penser que ce qui peut lui plaire. La foule joint l’entêtement à l’ignorance: ses opinions une fois faites, si absurdes qu’elles soient, elle les garde obstinément: vouloir changer les idées reçues, c’est se condamner à boire la cigüe. Comment, je vous le demande, Homère aurait-il été traité par les Grecs, s’il s’était permis de dire la vérité sur Jupiter, au lieu de nous faire de lui ce portrait terrible qui épouvante les enfants?