VIII - AMOUN LE NITRIOTE
[1] Puis il me disait qu'Amoun vécut de cette façon-ci. que se trouvant orphelin, jeune homme d'environ vingt-deux ans, il fut uni de force à une femme par son propre oncle. Et n'ayant pu résister à la contrainte de cet oncle, il jugea bon de se laisser couronner et asseoir en chambre nuptiale et de supporter avec patience tout ce qui est relatif aux noces. Or, après que tous se furent retirés et qu'eux se furent couchés dans la chambre nuptiale et dans le lit, Amoun s'étant levé ferme à clef la porte et s'étant assis, il appelle près de lui la bienheureuse sa compagne et lui dit : [2] « Ici, madame, pour ce qui reste je vais l'exposer l'affaire. Ce mariage que nous avons contracté ne contient rien d'extraordinaire. Agissons donc bien si à partir de maintenant chacun de nous dort à part, afin que nous plaisions encore à Dieu, ayant gardé intacte la virginité. » Et ayant tiré de son sein à lui un petit livre au nom de l'Apôtre et du Sauveur, il le lisait à la jeune tille qui était sans expérience des Ecritures, et pour la plus grande partie ajoutant tout de sa propre pensée, il amenait la conversation sur la virginité et la chasteté; de sorte que celle-là, convaincue par la grâce de Dieu, dit : [3] « Moi aussi, maître, me voilà convaincue. Et qu'or-donnes-tu pour l'avenir? » — « J'ordonne, dit-il, que chacun de nous dès maintenant demeure à part. » Mais elle ne le supporta pas, disant : « Demeurons dans la même maison, mais dans des lits différents. » Ayant donc vécu dix-huit ans avec elle dans la même maison, pendant chaque jour il vaquait au jardin et à la plantation de baumiers; car il était fabricant de baume. Ce baumier. qui croît à la façon d'une vigne, cultivé et ébranché, comporte beaucoup de travail. Donc, entrant le soir dans la maison, il faisait des prières et mangeait avec elle. Et ayant fait de nouveau une prière pour la nuit, il sortait. [4] Cela s'accomplissant ainsi, et, tous deux étant parvenus à l'impassibilité, les prières d'Amoun produisirent leur effet et elle lui dit enfin : « J'ai à te dire quelque chose, mon maître. C'est pour que, s'il arrive que tu m écoutes, je sois convaincue que tu m'aimes selon Dieu. » Il lui dit : « Dis ce que tu veux. » Et elle lui dit : « C'est chose juste que toi étant homme et pratiquant la justice et que moi pareillement ayant recherché avec zèle la même voie que toi, nous ayons demeure ù part; il est étrange, en effet, qu'habitant avec moi dans la chasteté, tu tiennes cachée une vertu aussi grande que la tienne. » [5] Or après avoir rendu grâce à Dieu, il lui dit : « Eh bien, toi, aie cette maison-ci. Quant à moi, je me ferai une autre maison. » Et s'en étant allé, il atteignit le plus intérieur de la montagne de Nitrie; car alors il n'y avait encore pas de monastères. Puis il se fait deux voûtes pour cellules. Et ayant vécu vingt-deux autres années dans la solitude, il finit ses jours ou plutôt il s'endormit; il voyait deux fois l'an la bienheureuse sa compagne.
[6] Le bienheureux Athanase l'évêque raconta un miracle de lui dans la vie d'Antoine : c'est que précisément traversant le fleuve Lycus avec Théodore son disciple, et ayant scrupule de se dévêtir pour qu'il ne le vît pas nu, il fut trouvé transporté de l'autre côté sans bac par un ange. Or donc cet Amoun vécut de telle sorte et se rendit parfait de telle sorte que le bienheureux Antoine vit son âme enlevée par des anges. Quant à ce fleuve, moi je l'ai traversé en bac avec appréhension; car c'est une décharge du grand Nil.