II - DOROTHÉE
[1] M'ayant remis à Dorothée, un ascète thébain qui passait une soixantième année dans sa grotte, il m'ordonne aussi de faire trois années complètes près de lui en vue de dompter mes passions ; car il savait que le vieillard vivait avec une grande austérité. Puis, il m'enjoignit de m'en retourner vers lui, à cause de l'instruction spirituelle. Mais n'ayant pu faire complètement mes trois ans, étant tombé de faiblesse, je fus de la sorte, avant les trois (ans), séparé de Dorothée : c'est que son régime était accablant de chaleur et très sec. [2] En effet, durant tout le jour, à la chaleur, dans le désert le long de la mer, il ramassait des pierres, et les disposant toujours en bâtisse et en faisant des cellas, il les cédait à ceux qui ne pouvaient pas bâtir: tous les ans, il achevait une cella. Et comme je lui avais dit, un jour : « Père, que fais-tu, en tuant dans une si grande vieillesse ton pauvre corps au milieu des chaleurs? » il répondit en disant : « Il me tue, je le tue ». Il mangeait en effet six onces de pain et une chaînée de légumes à tige effilée, et il buvait la quantité d'eau suffisante. Devant Dieu qui m'est témoin, je n'ai pas connaissance qu'il ait étendu les pieds, ni dormi sur une natte de jonc, ni sur un lit; mais durant toute la nuit, en étant assis, il tressait de la corde en feuilles de palmiers, en raison de sa nourriture. [3] Or, m'étant imaginé que c'était devant moi seul qu'il faisait cela, j'appris avec plaisir en questionnant minutieusement aussi d'autres de ses disciples qui demeuraient à part, ceci : dès sa jeunesse, il eut cette manière de vivre, n'ayant jamais dormi délibérément, si ce n'est qu'occupé à quelque chose ou en train de manger, il en est venu à fermer l'œil, terrassé par le sommeil; de la sorte, souvent le pain lui tombait de la bouche au moment de manger, par excès d'assoupissement. Comme je le contraignais une fois de se laisser tomber un petit moment sur sa natte, il me disait, un peu contristé : « Si tu arrives à persuader les anges de dormir, tu persuaderas aussi l'homme rempli de zèle ». [4] Dans son puits, vers l'heure de none. il m'envoya un jour remplir sa cruche, en vue d'y goûter pour l'heure de none. Or il se trouva qu'étant parti je vis dans le puits, au fond, un aspic, et je ne puisai plus l'eau ; mais m'en étant allé, je lui dis ceci : « Nous sommes morts, abbé; car j'ai vu un aspic dans le puits. » Alors, ayant souri, il me regarda longuement avec gravité, et ayant branlé la tête il disait : « S'il vient à plaire au diable de se changer dans tout puits en serpent ou en tortue, et de tomber dans les sources d'eau, est-ce que tu restes sans jamais boire? » Et étant sorti et avant puisé par lui-même, il en avala d'abord à jeun après avoir dit : « Où la croix vient à passer, la malice de quoi que ce soit n'a pas d'efficacité. »