LIX - AMMA TALIS ET TAOR
[1] Dans cette ville d'Antinoé il y a douze monastères de femmes, où j'ai rencontré aussi l'Anima Talis, une vieille ayant quatre-vingts ans d'ascèse, ainsi qu'elle et ses voisines le racontaient. Avec elle habitaient soixante jeunes tilles, qui l'aimaient tellement qu'une clef ne se mettait pas à la clôture du monastère, comme dans d'autres, mais qu'elles étaient dominées par l'amour de celle-là. Et la vieille femme parvint à un tel degré d'impassibilité qu'elle vint et s'assit avec moi, quand je fus entré et assis, et qu'elle posa ses mains sur mes épaules dans un transport de franchise.
[2] Dans ce monastère, une vierge, son élève, du nom de Taor, ayant trente ans de ce monastère, ne voulut jamais recevoir un vêtement neuf ou un voile ou une chaussure, en disant ceci : « Je n'en ai pas besoin, afin que je ne sois pas forcée aussi de sortir. » En effet toutes les autres vont le dimanche à l'église pour la communion. Mais celle-là reste, vêtue de haillons, dans la résidence, assise sans interruption à l'ouvrage. Or elle avait le visage si parfaitement gracieux de nature, qu'il était près d'arriver que le plus ferme fàt séduit par sa beauté, si elle n'avait eu sa chasteté, comme sauvegarde supérieure : elle refoulait par sa modestie l'œil libertin vers le respect et la crainte.