LXVIII - LE MOINE COMPATISSANT
[1] Pareillement dans cette ville, nous avons trouvé un moine qui préférait ne pas recevoir une ordination de prêtrise et qui avait été amené (là) en sortant d'un service militaire de peu de durée. Il passe sa vingtième année dans l'ascèse, ayant ce genre de vie : il demeure auprès de l'évêque de la ville, mais il est si humain et miséricordieux qu'il circule les nuits et prend pitié de ceux qui sont dans le besoin. [2] Il ne néglige ni prison, ni hôpital, ni pauvre, ni riche, mais il secourt tous, donnant aux uns des réflexions sur la compassion comme à des gens sans entrailles, se mettant au-devant des autres, apaisant ceux-là, fournissant aux autres des provisions du corps et des vêtements. Et ce qui a coutume d'arriver dans toutes les grandes villes existe aussi dans celle-ci. En effet, dans le portique de l'église, une multitude de malades couchés quête la nourriture du jour, les uns non mariés, les autres mariés. [3] Il arriva donc qu'un jour, au milieu de la nuit, la femme d'un accouchait sous le portique en hiver. Or il l'entendit qui criait dans les douleurs, et ayant abandonné ses oraisons accoutumées, il sortit et regarda, et n'ayant trouvé personne il tint lui-même lieu de femme-médecin : il n'eut pas horreur de la souillure qui accompagne les accouchées, la compassion ayant produit en lui de l'insensibilité. [4] Quant à la tenue de ses habits, elle ne vaut pas une obole, et son alimentation le dispute à ses habits. Se pencher sur une tablette, il n'en a pas le moyen : le sentiment d'humanité l'éloigné des lectures. Si l'un des frères vient à lui donner un petit livre, il le vend sur-le-champ, répondant à ceux qui le raillent, ceci : « D'où puis-je persuader à mon Maître que j'ai appris son art, à moins que je ne le vende Lui-même pour l'application parfaite de cet art? »