XLIX.
Ainsi donc, tant que nous sommes ici, con-servons l'image, afin que là nous parvenions à la vérité. Qu'il y ait en nous l'image de la justice, qu'il y ait l'image de la sagesse, car on en viendra à ce jour et nous serons appréciés d'après l'image.
Que l'ennemi ne trouve pas en toi son image, ni sa rage, ni sa fureur ; en elles en effet se trouve l'image du mal. Le démon ennemi en effet comme un lion rugissant cherche qui tuer, qui dévorer. Qu'il ne trouve pas la convoitise de l'or, ni des monceaux d'argent, ni les idoles que sont les vices, de peur qu'il ne t'enlève la parole de la liberté ; la parole de la liberté est en effet que tu dises : « Le prince de ce monde viendra et il ne trouvera rien en moi ». C'est pourquoi si tu es assuré qu'il ne trouvera rien en toi quand il viendra fouiller, tu diras ce que le patriarche Jacob dit à Laban : « Reconnais ce qui, de tes biens, est chez moi ». Heureux à juste titre Jacob chez qui Laban ne put rien retrouver qui fût à lui ! Rachel en effet avait fait disparaître les idoles d'or et d'argent qui étaient les dieux de Laban.
C'est pourquoi si la sagesse, si la foi, si le mépris du monde, si la grâce font disparaître toute incrédulité, tu seras heureux, car tu ne détournes pas ton regard vers les vanités et vers les folies mensongères. Ou bien est-ce chose de peu de prix, d'enlever sa voix à l'ennemi, en sorte qu'il ne puisse avoir le droit de t'accuser ? C'est pourquoi celui qui ne détourne pas son regard vers les vanités, n'est pas troublé ; celui en effet qui détourne vers elles son regard est troublé, et assurément de la manière la plus vaine. Qu'est-ce en effet que de rassem-bler des richesses, sinon chose vaine ? Car la recherche des biens périssables est chose vaine, tout à fait. Or quand tu les auras rassemblées, comment peux-tu savoir s'il te sera permis de les posséder ?
N'est-ce pas chose vaine que le marchand, nuit et jour, fasse du chemin afin de pouvoir accumuler les monceaux d'un trésor, de rassembler des marchandises, de se troubler pour le prix de peur par hasard qu'il ne vende moins cher qu'il n'a acheté d'être à l'affût des prix des régions, et soudain ou bien de provoquer contre lui l'envie des brigands pour son trafic bien connu, ou bien, faute d'avoir attendu des vents plus calmes, en cherchant un gain, d'essuyer un naufrage, par impatience d'un retard.
Ne se trouble-t-il pas vainement, celui aussi qui, au prix de la plus grande peine, amoncelle ce dont il ne sait pas à quel héritier il le laissera ? Souvent, ce que l'avare a amassé avec le plus grand souci, un héri-tier jouisseur le dissipe dans une prodigalité inconsi-dérée ; et des biens longtemps cherchés, un vilain glou-ton, aveugle sur le présent, imprévoyant pour l'avenir, les engloutit en une sorte de gouffre. Souvent aussi le légataire espéré acquiert en outre l'envie pour l'héritage obtenu, et par une mort rapide transfère à des étrangers les économies du legs accepté.
Pourquoi donc tisses-tu vainement une toile d'araignée qui est dépourvue de valeur et sans profit, et suspends-tu comme des fils les mutiles ressources de la richesse ? Car quoiqu'elles affluent, elles ne servent à rien ; bien plus elles te dépouillent de l'image de Dieu et te revêtent de l'image de l'homme terrestre. Si quelqu'un a l'image du tyran, n'est il point passible de la damnation ? Et toi tu déposes l'image de l'empereur éternel et tu ériges en toi l'image de la mort. Rejette plutôt de la cité de ton âme l'image du diable et dresse l'image du Christ. Qu'elle brille en toi, qu'elle resplen-disse en ta cité, c'est-à-dire en ton âme, elle qui efface les images des vices. De ceux-ci David dit : « Seigneur, dans ta cité, tu réduiras à rien leurs images ». En effet dès lors que le Seigneur a peint Jérusalem à son image, alors toute image des ennemis est détruite.