VII. Le bannissement des étrangers et la sauvegarde des paysans.
Mais aussi ceux qui interdisent la Ville aux étrangers, ne doivent être en aucune manière approuvés : expulser en ce temps où il faut aider, retirer des échanges les productions de la mère commune répandues pour tous, refuser des communautés de vie déjà commencées; ceux avec qui ont existé des droits en commun, ne pas vouloir avec eux, en temps de nécessité, partager les secours. Les bêtes sauvages ne bannissent pas les bêtes sauvages et l'homme repousse l'homme ! Bêtes sauvages et animaux tiennent pour commune à tous la subsistance que sert la terre ; ceux-ci viennent en aide, même au semblable de leur race, tandis que l'homme attaque, lui qui devrait croire que rien ne lui est étranger, de tout ce qui est humain.
Combien plus justement agit cet homme fameux : il était déjà arrivé à un âge avancé, la cité subissait la famine et, comme c'est l'habitude en de telles circonstances, on demandait communément que la Ville fût interdite aux étrangers ; comme il assumait la charge, plus grande que toutes les autres, de la préfecture urbaine, il convoqua les hommes honoraires et plus riches, et leur demanda d'aviser au bien commun ; il disait combien il était monstrueux que les étrangers fussent chassés, combien monstrueux que l'homme fût dépouillé de sa condition d'homme pour refuser la nourriture au mourant ! Nous ne souffrons pas que les chiens restent à jeun devant la table et nous repoussons des hommes ; combien il était inutile aussi que fussent perdues pour le monde tant de populations, que consumait un sinistre dépérissement ; quel grand nombre de gens étaient perdus pour leur propre Ville, qui, d'ordinaire, lui venaient en aide, ou bien en apportant des secours ou bien en pratiquant des échanges; que la famine d'autrui ne servait à personne; qu'on pouvait prolonger le plus de jours possible, mais non pas écarter la disette ; bien plus, après l'extinction de tant de cultivateurs, après la disparition de tant d'agricul-teurs, les secours en blé disparaîtraient à jamais. Ainsi donc nous repoussons ceux-là qui ont accoutumé de nous apporter la subsistance; nous ne voulons pas, en un moment de besoin, nourrir ceux-là qui, en tout temps, nous ont nourris. Qu'ils sont nombreux les biens dont eux-mêmes, en ce moment même, nous assurent le service : « L'homme ne vit pas que de pain » ! Il s'agit là de notre propre maison, très nombreux sont aussi nos parents. Rendons ce que nous avons reçu.
Mais nous craignons d'augmenter la disette. Tout d'abord la compassion à l'égard de tous n'est jamais abandonnée mais aidée. Ensuite les secours pris sur la récolte, qu'il faut leur partager, rachetons-les par une collecte, reconstituons-les avec de l'or. Ne voit-on pas par hasard qu'à défaut de ces hommes, il nous faudrait racheter d'autres cultivateurs ? Combien il est meilleur marché de nourrir plutôt que d'acheter un cultivateur ? Où reconstituer en outre, où trouver en outre la main-d'oeuvre à refaire? Ajoutez, si l'on trouvait, qu'il s'agirait d'une main-d'oeuvre ignorante, avec une pratique étrangère, que l'on pourrait mettre à la place des manquants, pour le nombre, mais non pour la qualité de la culture.
Que dire de plus? Grâce à la collecte d'or, on fit rentrer des blés. Ainsi il ne réduisit pas la provision de la Ville et fit servir de la nourriture aux étrangers. Quelle recommandation ce fut auprès de Dieu pour ce très saint vieillard, quelle gloire auprès des hommes ! Voilà un grand homme qui a fait ses preuves en toute vérité, qui a pu dire à l'empereur en toute vérité, en lui montrant les populations de toute une province : Voici tous ceux que je t'ai conservés, voici ceux qui vivent par le bienfait de ton sénat, voici ceux que ta curie a arrachés à la mort.
Combien cela fut plus utile que ce qui fut fait récemment à Rome : des gens ont été chassés de la Ville prestigieuse, qui avaient passé là, déjà, la plus grande partie de leur vie ; des gens s'en allèrent en pleurant avec leurs enfants, sur lesquels ils se lamentaient, disant que l'exil aurait dû leur être épargné comme à des citoyens ; les liens d'amitié d'un bon nombre ont été rompus ; des parentés déchirés. Et assurément l'année avait été sourian-te par sa fertilité, seule la Ville avait besoin de blé importé : on aurait pu être aidé, on pouvait demander du blé aux Italiens dont on bannissait les enfants. Rien de plus laid que cela : repousser l'homme comme étranger et réclamer le blé comme sien. Pourquoi chasses-tu celui qui se nourrit de son propre blé? Pourquoi chasses-tu celui qui te nourrit? Tu retiens l'esclave, mais tu expulses le parent ! Tu reçois le blé, mais tu ne partages pas l'affection ! Tu obtiens de force ta subsistance, mais tu ne paies pas de reconnaissance !
Combien cela est vilain, combien inutile ! Comment en effet peut être utile ce qui ne convient pas ? De quels secours des corporati Rome depuis quelque temps a-t-elle été frustrée ! Il eût été possible de ne pas perdre ces gens et d'échapper à la famine, en attendant les souffles favorables des vents et le convoi des navires escomptés.
Combien, en vérité, l'épisode précédent est beau et utile ! Qu'y a-t-il en effet d'aussi convenable et beau que d'aider les indigents grâce à une collecte des riches, de servir aux affamés leur subsistance, de ne laisser la nourriture manquer à personne. Qu'y a-t-il d'aussi utile que de conserver les cultivateurs à la campagne, que de ne pas faire périr le peuple des paysans?
Cela donc qui est beau est aussi utile, et ce qui est utile est beau. Et au contraire ce qui n'est pas utile, n'est pas convenable; et d'autre part ce qui n'est pas convena-ble, cela aussi n'est pas utile.