XXVI.
Il est permis à l'opinion humaine de s'agiter jusqu'à ce qu'elle rencontre les limites posées par Dieu. Je vais maintenant me resserrer dans nos lignes, afin de prouver au chrétien ce que j'ai répondu aux philosophes et aux médecins. O mon frère, édifie ta foi sur ton propre fondement. Regarde les enfants des saintes femmes, non-seulement respirant, mais prophétisant déjà dans les entrailles vivantes de leurs mères. Voilà que les flancs de Rébecca tressaillent, quoique l'enfantement soit encore éloigné et qu'il n'y ait aucune impulsion de l'air. Voilà qu'un double fruit se bat dans son sein, et nulle part encore je ne vois deux peuples. Peut-être pourrait-on regarder comme un prodige la pétulance de cette enfance qui combat avant de vivre, et déploie son courage avant d'avoir reçu l'âme, si elle n'avait fait que troubler sa mère par ses tressaillements. Mais quand les flancs qui la contiennent sont ouverts, le nombre connu et le présage vérifié, ce ne sont pas seulement les âmes des enfants, mais encore leurs combats qui sont attestés. Celui qui avait devancé la naissance de l'autre était retenu par son émule non encore arrivé à la lumière et dont la main seule était dégagée. Eh bien! si l'aîné puisait son âme par cette première aspiration suivant le système de Platon, ou s'il la |54 recueillait du contact de l'air, d'après l'opinion des stoïciens, que faisait celui que l'on attendait, et qui, captif encore à l'intérieur, arrêtait déjà au dehors? Il ne respirait pas encore sans doute, lorsqu'il s'était emparé du pied de son frère, et que brûlant de la chaleur maternelle, il désirait sortir le premier. O enfant jaloux, vigoureux et déjà querelleur, apparemment parce qu'il vivait!
De plus regarde les conceptions extraordinaires et prodigieuses. Une femme stérile1 et une vierge2 enfantent: elles auraient dû ne mettre au monde que des fruits imparfaits, eu égard à ce renversement des lois de la nature, puisque l'une était inhabile à la semence, et l'autre pure de tout contact. Il convenait, ou jamais, que ceux dont la conception avait été irrégulière naquissent sans âme. Mais chacun d'eux vit dans le sein où il est conçu: Elisabeth tressaille: c'est que Jean avait tressailli intérieurement. Marie glorifie le Seigneur: c'est que le Christ l'avait avertie intérieurement. Les deux mères reconnaissent mutuellement leurs fruits, reconnues elles-mêmes par leurs fruits, qui vivaient par conséquent, puisqu'ils étaient non-seulement âmes mais esprits. Ainsi tu lis la parole que Dieu adresse à Jérémie: « Avant de te former dans le sein de ta mère, je te connaissais. » Si Dieu nous forme dans le sein maternel, il nous souffle aussi la vie comme dans l'origine: « Dieu créa l'homme, et il répandit sur lui un souffle de vie. » D'ailleurs Dieu ne connaîtrait pas l'homme s'il ne le connaissait pas tout entier: « Avant que « tu fusses sorti du sein de ta mère, je t'ai sanctifié. » Le corps est-il jusque là dans un état de mort? Point du tout. Dieu est le Dieu des vivants et non des morts. »