VIII.
Je me renferme dans ce point unique, et me borne à rechercher si le martyre a été ordonné par Dieu, afin qu'ordonné par Dieu, il vous semble un acte de sagesse, puisque toutes les prescriptions divines sont sages. « La mort des élus est précieuse aux yeux du Seigneur. » Ainsi l'a chanté le Psalmiste; non point, j'imagine, cette mort commune, tribut qu'il nous faut tous acquitter, encore moins cette mort ignominieuse, flétrie par l'iniquité et par la damnation qui la suit, mais cette mort que l'on brave pour rendre témoignage à sa religion, lutte glorieuse où le martyr se sacrifie pour rester fidèle à la justice et à son serment, telle enfin qu'elle est décrite par Isaïe. « Le juste périt, et nul n'y pense dans son cœur. Le Seigneur rappelle à lui l'homme de sa miséricorde, et nul ne le regrette. Le juste sera enlevé de la présence des méchants, et sa sépulture sera honorée. » Tout est là, annonce du martyre, récompense du martyre.
En effet, la justice, dès l'origine, souffre la violence. Dieu n'a pas plutôt commencé d'être honoré, que la religion est l'objet de la jalousie. Celui qui était agréable à Dieu est tué et tué par son frère. L'impiété, pour marcher plus rapidement à l'homicide, commence par son propre sang. Les justes ont été sacrifiés, pourquoi les prophètes ne le seraient-ils pas! David est réduit à prendre la fuite; Elie ne sauve ses jours qu'en se cachant, Jérémie est lapidé, Isaïe meurt sous la scie, Zacharie est égorgé entre le vestibule et l'autel, laissant sur la pierre l'ineffaçable empreinte du sang qu'il a versé. Le précurseur lui-même, qui vient fermer la loi et la prophétie, cet homme qui fut plus qu'un prophète, puisqu'il a été honoré du titre d'ange, est ignominieusement décapité, salaire jeté à une impudique. De tout temps, ceux qu'animait l'esprit de Dieu se laissèrent conduire par lui au martyre, afin de justifier leurs enseignements par leurs propres exemples. Lorsqu'une ville, lâchement obéissante, courait adorer l'image de son monarque, les trois jeunes captifs d'Israël n'oublièrent pas ce qu'exigeait d'eux une foi, qui savait demeurer libre jusque dans les fers, qu'est-ce à dire? qu'il fallait mourir pour combattre l'idolâtrie. Ils se souvenaient que Jérémie écrivait à ceux que menaçait cette captivité: « Maintenant vous verrez à Babylone des dieux d'or et d'argent, de pierre et de bois, portés sur les épaules, et redoutés par les nations. Gardez-vous d'imiter ces étrangers, de craindre ces dieux, et de vous laisser aller à la frayeur. Quand vous verrez la multitude répandue autour de ces statues, et leur adressant ses hommages, dites en votre cœur: c'est vous, Seigneur, que nous devons adorer. » Aussi, répondirent-ils avec une confiance qu'ils puisaient en Dieu, quand ils repoussèrent avec énergie les menaces conditionnelles du monarque: « Nous ne pouvons vous le promettre, ô prince! Le Dieu que nous honorons est assez puissant pour nous délivrer de la fournaise de feu, et nous arracher de vos mains. Alors il vous deviendra évident que nous ne servons pas vos dieux et n'adorons pas la statue d'or que vous avez élevée. » O martyre consommé, quoique non sanglant! Ils ont assez souffert, ils ont été assez brûlés. Dieu, pour témoigner que leur confiance en lui n'était pas vaine, les couvrit de sa protection. Voyez encore Daniel! il n'adorait que le Dieu véritable. La Chaldée s'indigne, le dénonce, et le jette aux animaux sauvages. Les lions furieux avec lesquels étaient enfermé le captif ne l'eussent pas épargné, si les sentiments élevés de Darius sur la divinité avaient dû être trompés.
Au reste, il fallait que tout prophète, que tout serviteur de Dieu, provoqué par l'idolâtrie, et refusant d'obéir, passât par le creuset de la tribulation. N'était-il pas souverainement raisonnable que ces hommes de cœur, pour mieux accréditer auprès de leurs contemporains ou de leurs descendants la vérité qu'ils annonçaient, lui imprimassent l'autorité de leur sang et de leur trépas, parce que personne n'eût consenti à mourir s'il n'avait eu la certitude qu'il mourait pour la vérité? Ainsi plus de doute; préceptes, exemples, antiquité, tout prouve que le martyre est la dette de la foi.