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Voici le raisonnement que je leur exposai alors. S'il est manifeste, nous l'avons vu tout à l'heure, que l'on n'est pas heureux quand on n'a pas ce que l'on veut; si l'on ne cherche que ce que- l'on veut trouver, et si les académiciens cherchent toujours la vérité , c'est qu'ils veulent trouver la vérité, c'est qu'ils veulent avoir un moyen pour la trouver. Or, ils ne la trouvent pas. Partant ils ne possèdent pas ce qu'ils veulent; partant ils ne sont pas heureux. Or, il n'y a de sage que celui qui est heureux. Donc un académicien n'est pas un sage. Tous alors s'écrièrent, comme s'ils s'emparaient de toutes mes paroles. Mais Licentius, qui se tenait sur ses gardes, craignit de s'avancer et ajouta : Comme vous, je mg suis jeté sur ce raisonnement et je me suis écrié à cette conclusion qui faisait impression sur moi. Mais je [175] ne l'avalerai pas et je garderai ma part, pour la donner à Alype. Il la savourera avec moi ou il me dira pourquoi il ne faut pas y goûter.
C'est Navigius, lui dis-je, qui devrait plus que toi craindre les douceurs, puisqu'il a la rate en mauvais état. Alors Navigius souriant : Ces douceurs-là me guériront; sans aucun doute. Car je ne sais comment cela se fait; mais ce raisonnement hérissé et piquant que tu nous as présenté, ressemble à ce miel de l'Hymette, dont on a dit qu'il a une saveur aigre-douce et ne gonfle point les entrailles. C'est pourquoi, bien qu'il me pique tant soit peu le palais, je l'absorbe tout entier de mon mieux et de fort bon coeur. Je ne vois pas, en effet, comment on pourrait attaquer ta conclusion. — C'est impossible, dit Trygétius ; et je ne suis pas fâché de m'être brouillé depuis longtemps avec les académiciens. Car je ne sais quel instinct ou plutôt quelle impulsion divine me poussant, j'étais devenu leur ardent ennemi, même sans savoir comment m'y prendre pour les réfuter.