9.
Le M. La souplesse plus ou moins grande des doigts est sans doute un effet de l'exercice et non de la science. — L’E. Pourquoi cela ? — L. M. Tout à l'heure tu faisais de la science un privilège de l'âme : or cette souplesse ne dépend que des organes, encore qu'ils obéissent à l'impulsion de l'âme. — L’E. Mais puisque l'âme en qui est la science, commande au corps ces mouvements, il faudrait plutôt les attribuer à l'âme qu'aux membres qui ne font qu'obéir. — Le M. Ne peut-il arriver qu'un homme soit supérieur en science à un autre homme, bien que celui-ci fasse mouvoir ses doigts avec plus de facilité et d'aisance ? — L’E. Cela est très-possïble. — Le M. Or, si les mouvements rapides et agiles des doigts devaient être attribués à la science, plus on excellerait dans ces mouvements, plus on porterait loin la science. — L’E. C'est vrai.
Le M. Fais encore attention à ceci : Tu as quelquefois remarqué sans doute que les charpentiers et autres artisans de ce genre. en frappant avec la hache ou la cognée, retombent toujours au même endroit, sans jamais se tromper sur le point où ils ont l'intention de diriger leurs coups; essayons-nous de le faire, nous ne pouvons y réussir et nous leur prêtons à rire. — L’E. C'est vrai. — Le M. Et d'où vient que nous ne pouvons y réussir ? Est-ce faute de savoir le coup qu'il faut frapper, l'entaille qu'il faut faire? — L’E. Nous ne le savons pas toujours. — Le M. Eh bien 1 suppose un homme qui connaisse dans tous ses détails le métier du forgeron, sans avoir toutefois la (nain aussi exercée; suppose-le capable de donner à ces ouvriers qui travaillent avec la plus grande facilité une foule de leçons qui dépassent leur intelligence. N'est-ce pas là un fait journalier ? — L’E. D'accord. — Le M. Ainsi donc on doit attribuer à l'habitude plutôt qu'à la science, non-seulement l'aisance, et la légèreté, mais encore la cadence dans les mouvements corporels : autrement, mieux on se servirait de ses mains, plus on serait instruit. Nous pouvons appliquer cette observation au talent des joueurs de flûte et de cithare, et par conséquent, la difficulté que nous éprouverions à exécuter les mouvements de doigts ne nous empêchera pas de les attribuer à l'habitude, à l'imitation, à un exercice journalier, plutôt qu'à la science. — L’E. Je me rends enfin. Aussi bien, j'entends dire souvent que des médecins fort savants sont surpassés par des praticiens moins instruits , dans les amputations, dans les pansements, en un mot dans toutes les opérations qui exigent la main ou le fer: cette branche de la médecine s'appelle chirurgie[^1], et le terme même dénote suffisamment des opérations qui se font avec les mains. Continue donc et achève cette question.