3.
Mais vous qui m'aimez beaucoup; si lorsqu'on me reprend par malice, ignorance ou même avec l'intelligence de la vérité; vous dites que je ne me suis jamais trompé dans mes écrits, vous travaillez en vain, vous soutenez une mauvaise cause, vous perdriez infailliblement votre procès, même devant moi. Je ne trouve pas bon que ceux qui me sont le plus chers me croient autre que je ne suis. S'ils aiment, non point ce que je suis, mais ce que je ne suis pas, ce n'est plus moi qu'ils aiment, mais un autre sous mon nom; c'est moi, si leur affection se fonde sur ce qu'ils savent ou ce qu'ils ont raison de croire; mais en m'attribuant ce qu'ils ne voient pas en moi , ils me prennent pour un autre et c'est un autre qu'ils aiment. Le plus éloquent des Romains, Cicéron, a dit de quelqu'un qu'il ne lui échappa jamais une parole qu'il aurait voulu ne pas avoir prononcée. Quelque belle que paraisse cette louange, elle pourrait plutôt s'appliquer à un fou achevé qu'à un sage accompli. Car ceux qu'on nomme vulgairement des bouffons, plus ils s'écartent du sens commun en multipliant les absurdités et les sottises, plus ils se félicitent de ce qu'ils disent : il n'appartient qu'à des gens sensés de se repentir d'une parole mauvaise, folle ou préjudiciable.
Mais si on prend en bonne part le mot de l'orateur romain et qu'on pense qu'il se soit rencontré des hommes, parlant de toute chose sagement et n'ayant jamais rien dit qu'ils ne voulussent avoir dit, il faut pieusement croire cela des hommes de Dieu qui ont parlé sous l'inspiration de l'Esprit-Saint plutôt que de le croire de celui que Cicéron a entendu louer de cette manière. Quant à moi je suis si éloigné de cette perfection que si je me vantais de ne rien dire que je ne voulusse avoir dit, je serais plus semblable à un fou qu'à un sage. On a écrit -des ouvrages de la plus haute autorité, non point quand on n'y a pas mis un seul mot qu'on regrette, mais quand on n'y a rien mis qu'on doive changer. Quiconque n'est point encore parvenu à ce degré de sagesse doit se résigner à être modeste : n'ayant pas pu tout dire de façon à ne pas s'en repentir, qu'il se repente de ce qu'il sait qu'il n'aurait pas dû dire.