4.
De quoi sommes-nous composés ? d'une âme et d'un corps. Quel est le meilleur des deux ? c'est l'âme assurément. Que loue-t-on dans le corps ? je ne vois rien autre que la beauté. Qu'est-ce que c'est que la beauté du corps ? l'harmonie des parties avec une certaine suavité de couleur. Et cette beauté ne vaut-elle pas mieux où elle est vraie que là où elle est fausse ? Qui doute qu'elle vaudra mieux là où elle sera vraie ? Où sera-t-elle vraie ? dans l'âme sans doute. L'âme doit donc être plus aimée que le corps. Et dans quelle partie de l'âme réside-t-elle, cette vérité ? dans l'esprit et l'intelligence. Qu'y a-t-il de contraire à l'esprit ? ce sont les sens. Il faut donc résister aux sens de toutes les forces de l'âme ? C'est évident. Que faire si les choses sensibles nous plaisent trop ? il faut faire qu'elles ne nous plaisent plus. Et comment donc? par l'habitude de s'en priver et de rechercher ce qui est meilleur. Et si l'âme meurt, la vérité mourra donc aussi, ou bien la vérité n'est pas dans l'intelligence, ou l'intelligence n'est pas dans l'âme, ou ce qui renferme quelque chose d'immortel peut mourir? Mes Soliloques disent et prouvent assez que rien de pareil ne saurait arriver; mais je ne sais quelle habitude de nos maux nous épouvante encore et nous fait chanceler. Enfin, quand même l'âme mourrait, ce qui ne me paraît possible d'aucune manière, les studieux loisirs de ma solitude m'ont assez démontré que la vie heureuse ne se trouverait point dans la joie des choses sensibles. Voilà peut-être ce qui me fait paraître aux yeux de mon cher Nébride sinon heureux, au moins comme heureux : que je le paraisse à moi-même; qu'ai je à perdre ? et pourquoi ne croirai je pas à la bonne opinion. qu'il a de moi ? je me dis ces choses, puis je fis ma prière accoutumée, et je m'endormis.