LETTRE VII. (Année 389.) AUGUSTIN A NÉBRIDE.
Saint Augustin examine les deux questions agitées par Nébride. — Le texte présente des obscurités qui tiennent aux difficultés de la matière, et que Nébride ne comprit pas lui-même à la première lecture, comme le lui dit saint Augustin 1 - Tout le monde n'étant point initié à cette métaphysique, le lecteur instruit nous permettra, en faveur de ceux qui le sont moins, d'exposer ici, sous forme d'analyse , les raisonnements qui soutiennent la double thèse développée dans cette lettre.
Première question. Il n'est pas vrai, comme le dit Nébride, que la mémoire n'agisse jamais sans l'imagination. — En effet, la mémoire a pour objet, non-seulement ce qui est passé , mais encore ce qui demeure 2. — Or, parmi les choses qui demeurent, il en est, comme l'éternité, que nous nous rappelons sans nous les figurer par l'imagination. — Donc, la mémoire agit, au moins quelquefois, sans le concours de l'imagination 3.
Seconde question. — Il n'est pas vrai non plus, comme le dit également Nébride, que l'âme se représente les objets corporels, sans le secours des sens, et cela, pour deux raisons. Voici la première : Si l'âme pouvait par elle-même et avant de faire usage des sens , se figurer les objets corporels , il s'en suivrait que les fantômes formés pendant le sommeil ou dans l'esprit des aliénés, sont plus fidèles que les images apportées par les sens dans l'âme des hommes qui veillent et qui jouissent de leur intelligence : ce qui est manifestement faux. — Donc il est faux aussi que, sans avoir fait usage des sens, l'âme puisse se représenter les objets corporels 4. — Autre raison : Nous pouvons diviser les images en trois espèces : les images imprimées par les sens, les images supposées, et les images approuvées 5. Or, il est certain que les premières, comme leur nom l'indique, viennent par les sens et non par l'imagination. — Quant aux secondes, celles que forme l'imagination, et aux troisièmes, celles que forme la raison, elles sont entièrement fausses. — Donc ce n'est pas l'âme, ce sont les sens qui peuvent seuls nous représenter exactement les objets sensibles 6.
Objections. Ne vous étonnez pas que nous nous figurons souvent ce que jamais nous n'avons vu. — C'est que l'esprit a le pouvoir d'amplifier les images perçues parles sens, non de les concevoir sans eux 7. — Ne vous étonnez pas non plus que l'âme ne se représente fidèlement que ce qu'elle a vu. Car nous-mêmes, avant d'exprimer nos sentiments, avons besoin d'être frappés par l'objet qui les produit.
Conclusions. Puisque notre âme agit souvent sans ces images corporelles, et que ces images ne sont produites que par les sens, ne croyez pas que le corps lui vienne de ce qu'elle les a formées, comme l'enseignent faussement les :Manichéens. De plus, ne vous attachez pas à leurs fantômes trompeurs : comment résister à la tyrannie des sens en les flattant dans leurs désordres 8 ?