6.
Ils ne supportent pas la différence qu'on fait entre la grâce donnée au premier homme et la grâce donnée maintenant à tous : « Adam, avez-vous dit, ne reçut pas le don de la persévérance avec lequel il pouvait persévérer, mais le don sans lequel il n'aurait pas pu persévérer avec les seules forces du libre arbitre ; maintenant ce n'est pas un secours semblable que Dieu donne aux saints prédestinés à la gloire de son royaume par la grâce, mais un secours tel que réellement ils persévèrent. Ce n'est pas seulement un don sans lequel ils ne pourraient pas persévérer, mais un don par lequel ils ne peuvent que persévérer 1. »
Dans l'émotion où les jettent ces paroles de votre sainteté, ils disent qu'elles sont de nature à inspirer aux hommes une sorte de désespoir. Si, disent-ils, plus favorisés qu'Adam, qui était aidé de la grâce de manière à pouvoir rester dans la justice ou s'en écarter, les saints sont maintenant aidés de telle manière, qu'ayant reçu la volonté de persévérer, ils ne puissent pas vouloir autre chose; et s'il est des hommes ainsi abandonnés, qu'ils ne se rapprochent pas du bien, ou s'ils s'en rapprochent, ne tardent pas à s'en éloigner : où est désormais l'utilité des exhortations ou des menaces? On n'aurait pu les adresser qu'à cette volonté du premier homme qui avait le libre pouvoir de persister dans la voie du bien ou d'en sortir; on ne peut les faire entendre à ceux qu'une nécessité inévitable contraint à ne plus vouloir la justice. Il n'y a d'excepté ici que ceux que la grâce délivre de la masse de perdition dans laquelle les avait enveloppés la tache originelle.
Selon nos contradicteurs, toute la différence entre l'état du premier homme avant sa chute et notre état présent, c'est que la grâce, sans laquelle Adam ne pouvait pas persévérer, aidait sa volonté, dont les forces étaient alors entières, et qu'aujourd'hui, après la perte de nos forces, la grâce, trouvant en nous la foi, non-seulement nous relève quand nous tombons, mais soutient même notre marche. Ils prétendent que les prédestinés,quelque grâce que Dieu leur donne,peuvent la perdre ou la garder par le libre usage de leur volonté propre; ce qui serait faux, si quelques-uns avaient reçu le don de la persévérance, de façon à ne pouvoir faire autrement que de persévérer.
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Livre de la Correction et de la Grâce, chap. XI, XII. ↩