1.
Quoique le doux lien de la charité ne permette pas que vous soyez jamais loin de notre coeur , et quoique nous nous rappelions sans cesse vos saintes moeurs et vos bons entretiens , vous avez bien fart pourtant et nous vous remercions de nous avoir comblé de joie en nous donnant des nouvelles de votre santé. Je vois par votre lettre la peine que vous causent les pécheurs qui abandonnent la loi de Dieu; car vous vivez de cet esprit qui a fait dire : « J'ai vu les insensés, et j'ai séché de douleur 1. » C'est une pieuse tristesse, et, si on peut parler ainsi, c'est une heureuse misère de s'affliger des désordres d'autrui sans y prendre aucune part; de s'en attrister, sans s'y mêler ; d'en éprouver de la douleur et de ne sentir pour ces péchés aucun amour. Voilà la persécution due souffrent tous ceux qui veulent vivre pieusement dans le Christ, selon le mot si pénétrant et si vrai de l'Apôtre 2. Quoi de plus capable de persécuter la vie des gens de bien que la vie des méchants ! Ce n'est pas qu'on soit par là forcé de faire ce qui déplaît, mais on ne peut pas le voir sans douleur, car celui qui vit mal en présence de celui qui vit bien, le tourmente dans son âme quoiqu'il ne l'entraîne dans aucune complicité. Il arrive souvent que les méchants, quant à leur corps, demeurent longtemps sans avoir rien à souffrir des puissances de la terre et rien à souffrir de personne; mais la piété souffrira toujours du spectacle de l'iniquité des hommes jusqu'à la fin des temps. Ainsi donc s'accomplit plutôt la parole de l'Apôtre que j'ai citée plus haut : « Tous ceux qui veulent vivre pieusement dans le Christ souffriront persécution ; » elle sera d'autant plus amère qu'elle sera plus intime ; le corbeau et la colombe demeurent ensemble dans l'arche jusqu'à ce que le déluge ait passé.