17.
Dites-moi aussi comment vous comprenez les paroles du bienheureux Siméon, pour que je m'attache à votre sentiment. Étant venu au temple, par un mouvement de l'Esprit divin, afin devoir le Christ en face, d'après l'oracle de Dieu, et l'ayant reçu dans ses bras, il bénit le Seigneur enfant et dit à Marie : « Voici celui qui est établi pour la ruine et la résurrection de plusieurs en Israël, et il sera un signe de contradiction ; un glaive percera votre âme pour que les pensées de plusieurs coeurs soient manifestées 1. » Faut-il croire que Siméon ait prophétisé ici quelque passion de Marie qui n'a été écrite nulle part? Annonçait-il à Marie les angoisses qui l'attendaient au pied de la croix où serait attaché Celui qu'elle avait enfanté, alors que, comme une épée à deux tranchants, la croix atteindrait en même temps son Fils selon la chair, en son âme maternelle? Car je vois dans les Psaumes qu'il a été dit sur Joseph : « Ils l'humilièrent par des chaînes mises à ses pieds; le fer transperça son âme 2. » comme Siméon dit dans l'Évangile : « Et un glaive transpercera votre âme. » Il ne dit pas votre chair, mais votre âme, parce que là est le sentiment, et que la pointe de la douleur la déchire comme un glaive, soit quand on est outragé dans son corps, comme Joseph qui ne souffrit pas la mort, mais les injures, qui l'ut vendu ainsi qu'un esclave, enchaîné, emprisonné; soit quand on est torturé dans son coeur comme Marie, lorsque le sentiment maternel la conduisit au pied de la croix du Seigneur, en qui elle ne voyait que son Fils, pour pleurer sa mort avec toute la faiblesse humaine, et s'occuper de sa sépulture; elle ne pensait pas qu'il dût ressusciter, parce qu'une douleur profonde, en face de la Passion, cachait à ses yeux la foi de la merveille qui devait suivre. Voyant sa mère debout au pied de la croix, le Seigneur la consola non point avec les tremblantes faiblesses d'un mourant, mais avec la fermeté de celui qui meurt parce qu'il le veut; de celui qui tient la mort en sa puissance, qui vit en pleine vie et qui est certain de sa résurrection. Il dit à Marie, en lui montrant d'un regard l'apôtre Jean : « Femme, voilà votre fils; » et il dit à Jean qui était là : « Voilà votre mère 3. » Au moment où la mort sur la croix allait le faire passer de la fragilité humaine, qui l'avait fait naître d'une femme, à l'éternité de Dieu et à la gloire de son Père, il délègue à un homme les droits de la piété humaine et choisit le plus jeune de ses disciples pour confier, comme il convient, une mère vierge à un apôtre vierge. Il y a ici deux enseignements pour nous d'abord le Seigneur nous laisse un exemple de piété filiale lorsqu'il s'occupe ainsi de sa mère; en se séparant d'elle par le corps, il ne s'en séparait pas par ses soins; mais il n'allait même pas la quitter véritablement, puisqu'elle devait bientôt retrouver, par la résurrection, celui qu'elle voyait mourir sur la croix. Le second enseignement devait appartenir à la foi de tous : c'est par une secrète raison du conseil divin que le Seigneur choisit ces paroles pour donner à sa mère un touchant témoignage de sa piété; il la donne pour mère à un autre, il veut que celui-ci la console à sa place; il présente en retour, ou plutôt, si j'ose parler ainsi, il engendre un nouveau fils à sa mère : c'était montrer qu'excepté lui-même, né de cette vierge, elle n'avait. pas eu et n'avait pas de fils. Le Sauveur n'aurait pas été tant occupé de consoler Marie, s'il n'avait pas été son fils unique.