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Pourquoi nous plaisent-elles? et pourquoi, à mesure que nous avons plus d'intelligence, y sommes-nous plus attachés? Personne encore n'osera le dire s'il a bien compris ces questions. En effet s'il nous est possible, ainsi qu'à toutes les âmes raisonnables,de juger selon la vérité les créatures qui nous sont inférieures, il n'y a pour nous juger nous-mêmes que l'éternelle Vérité, quand nous lui sommes unis. Pour elle le Père lui-même ne la juge pas, car elle ne lui est point inférieure : mais c'est par elle qu'il porte tous ses jugements. Car tous les êtres qui recherchent l'unité sont soumis à cette même règle, à cet idéal, à ce modèle, quel que soit le nom qu'on lui donne, parce que seule elle ressemble parfaitement à Celui de qui elle a reçu l'être, si toutefois il est possible d'employer cette expression : « Elle a reçu, » quand il s'agit de Celui que l'on nomme le Fils, parce qu'il n'est point par lui-même, mais par le premier et éternel principe appelé le Père; « de qui toute paternité découle dans le ciel et sur la terre1. » Ainsi « le Père ne juge personne, il a donné tout jugement au Fils2. » — « L'homme spirituel juge tout, mais n'est jugé par personne3, » c'est-dire, par aucun homme; mais par la loi seule qui règle ses jugements; car c'est encore une vérité indubitable que « nous ,devons paraître tous au tribunal de Jésus-Christ4. » L'homme spirituel juge donc tout parce qu'avec Dieu il est supérieur à tout. Or il est avec lui quand son intelligence comprend sans erreur, et qu'il aime parfaitement ce qu'il a compris. Il s'identifie même alors, autant que cela est possible, avec la foi qui le dirige dans ses jugements, et que nul ne saurait juger. Ainsi en est-il des lois temporelles elles-mêmes : les hommes les jugent quand ils les établissent, mais après leur promulgation le juge ne peut plus les discuter, il doit s'y soumettre. Cependant le législateur humain, s'il est sage et homme de bien, consulte la loi éternelle élevée au-dessus de toute discussion, afin que d'après ses immuables principes il discerne ce qu'il convient pour le moment de commander ou de défendre. Il est donc possible aux âmes pures de connaître cette loi éternelle, jamais il ne leur est permis de la juger. E voici la raison pour connaître un objet, il suffit de savoir qu'il est de telle manière et non de telle autre; mais pour bien l'apprécier nous ajoutons quelques mots destinés à exprimer qu'il pourrait avoir aussi d'autres caractères; comme lorsque nous disons : cela doit être ainsi, cela devait être de cette manière ; ceci devra être autrement, ainsi que font les artistes en parlant de leurs travaux.