CHAPITRE XXIX. LE DOGME, DE L'EGLISE ET LES ERREURS DES MANICHÉENS.
Enfin la religion est l'objet de notre dispute avec les Manichéens, et la question se résume en ces termes: Que doit-on pieusement penser de Dieu? Ils ne peuvent nier que le genre humain soit dans la malheureuse condition qui résulte du péché, mais ils prétendent que la même nature de Dieu gémit sous cette infortune. Nous le nions, et nous soutenons que la nature vouée à la misère est celle que Dieu a tirée du néant, et qu'elle est devenue misérable non par force mais par le choix qu'elle a fait du péché. Selon eux, la nature de Dieu est contrainte par Dieu même au repentir et à l'expiation des fautes commises. Nous le nions et nous disons que c'est la nature faite ale rien parla puissance divine, qui devenue coupable est obligée de faire pénitence de ses péchés. Ils enseignent que la nature divine reçoit de Dieu même son pardon. Rejetant cette idée, nous disons que c'est la nature tirée par Dieu du néant, qui reçoit le pardon des crimes dont elle est souillée, gland elle s'éloigne du péché pour revenir à son Dieu. La nature de Dieu, ajoutent-ils, est par nécessité sujette au changement. Nous le nions et nous disons changée par sa propre volonté, cette nature que Dieu a faite de rien. La nature de Dieu, poursuivent-ils, pâtit de fautes qui lui sont étrangères. Nous le nions et nous disons qu'aucune nature ne souffre que des fautes qui sont les siennes 1. De plus nous tenons Dieu pour si bon, si juste et si saint, qu'il ne pèche ni ne nuit à personne qui n'aura point voulu pécher, pas plus qu'on ne peut lui faire tort à lui-même en se livrant au péché. Ils disent qu'il y a une nature du mal à laquelle Dieu est forcé d'abandonner, pour en ressentir les cruelles rigueurs, une partie de la sienne. Nous, nous disons qu'il n' y a point de mal naturel 2 ; que toutes les natures sont bonnes; que Dieu lui-même est la nature souveraine; qu'il est l'auteur des autres sans en excepter une seule; que toutes sont bonnes en tant qu'elles sont, parce que Dieu a fait toutes choses excellentes, toutefois à des degrés divers qui les distinguent de manière que l'une est meilleure que l'autre; qu'ainsi de toute sorte de choses bonnes, les unes plus parfaites, les autres moins parfaites, se trouve formé par Dieu un ensemble parfait que lui-même gouverne avec une admirable sagesse; enfin que faisant par sa volonté toutes choses bonnes, il n'est réduit à souffrir aucun mal. Car il est impossible que celui dont la volonté est au dessus de tout ait à supporter quoique ce soit malgré lui.
On connaît maintenant ce qu'ils disent de leur côté, ce que nous disons du notre; que chacun voie donc la doctrine qu'il doit suivre. Pour moi j'ai parlé de bonne foi devant Dieu ; et sans aucun esprit de contention, sans nul doute de la vérité, sans vouloir en rien préjudicier à un traité plus exact, j'ai exposé ce qui m'a paru véritable.
Traduction de M. l'abbé Tassin.