12.
Voyons maintenant le bonheur de l'homme, désigné sous le nom de paradis. Le repos que l'on goûte à l'ombre des bocages est ordinairement délicieux, c'est de l'Orient que part la lumière destinée à nos sens corporels, et là se montre d'abord le ciel, corps bien supérieur au nôtre et d'une nature plus excellente. C'est pourquoi ici encore il faut voir un sens figuré, les délices spirituelles de la vie bienheureuse; et pour le même motif il est dit que le paradis fut planté à l'Orient. Or comprenons que nos joies spirituelles sont marquées par tous ces arbres beaux à la vue de l'intelligence, et dont les fruits sont bons à manger comme une nourriture incorruptible, la nourriture des âmes bienheureuses; car le Seigneur a dit : « Travaillez pour une nourriture qui ne se corrompt point 1 ; » telles sont toutes les connaissances qui servent d'aliment à l'âme. L'Orient désigne la lumière de la sagesse, et Eden les délices immortelles de l'âme intelligente. Car les interprètes enseignent que ce mot traduit de l'hébreu en latin, signifie délices, jouissance ou banquet. S'il a été mis ici sans traduction, c'est pour paraître indiquer quelque lieu particulier, et plus encore, pour faire une locution figurée. Par tous ces arbres qui s'élèvent de la terre nous entendons cette joie spirituelle, qui consiste à dominer la terre, à n'être pas enveloppé ni accablé par le désordre des passions terrestres. L'arbre de vie planté au milieu du paradis représente cette sagesse qui fait comprendre que sa destination est de tenir comme le milieu des choses. Si elle est supérieure à toute la nature corporelle, elle a néanmoins au dessus d'elle la nature de Dieu; ainsi elle ne doit s'égarer ni à droite en affectant ce qu'elle n'est pas, ni à gauche en dédaignant négligemment ce qu'elle est. Voilà l'arbre de vie planté au milieu du paradis. L'arbre de la science du bien et du mal rappelle aussi cette situation naturelle de l'âme entre la nature divine et la nature corporelle; car cet arbre était encore planté au milieu du paradis. Il est appelé arbre de la science du bien et du mal, parce que si l'âme qui doit s étendre vers ce qui est devant elle, c'est-à-dire vers Dieu, et oublier ce qui est derrière elle 2, c'est-à-dire les plaisirs des sens, vient à se replier sur elle-même en abandonnant Dieu, et à vouloir jouir, comme si elle était sans Dieu, des facultés de son être, elle s'enfle d'orgueil, e qui est la source de tout péché. Et lorsque la peine de cet égarement vient la frapper, elle voit par expérience combien diffère le bien qu'elle a délaissé du mal où elle est tombée. C'est, pour elle, avoir mangé du fruit de l'arbre de la science du bien et du mal. Quand donc il lui est commandé de manger du fruit de l'arbre qui est dans le paradis, mais de ne pas manger du fruit de l'arbre de la science du bien et du mal, il lui est interdit d'en jouir de manière à dépraver, et à corrompre comme en mangeant, l'intégrité de sa nature.