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Mais, ajoute-t-on, comment pouvait-il concevoir le nom attaché à cet arbre, puisqu'il était dans une ignorance absolue du mal ? Ces habiles gens ne songent guère qu'une foule de choses inconnues se conçoivent par leurs contraires, et cela si nettement, qu’ on peut placer dans la conversation des termes qui ne correspondent à aucune réalité, sans être obscur, pour l'auditeur. Le néant ne représente aucune réalité, et il n'est personne qui ne comprenne le sens attaché à ces deux syllabes. Pourquoi ? C'est que l'idée d'être permet de concevoir la privation même de l'être. Le vide se conçoit également par le plein, son contraire. L'oreille est juge non-seulement des sons, mais du silence. Par la vie dont il jouissait, l'homme pouvait prévoir le contraire, c'est-à-dire l'absence de la vie ou la mort : il pouvait donc concevoir la cause qui lui ferait perdre le bienfait si doux de l'existence, en d'autres termes, l'acte qui aurait pour conséquence de lui ravir la vie, le mal, le péché quelque fût le mot qui traduisit son idée. Nous-mêmes, comment avons-nous une idée de la résurrection, sans en avoir fait l'expérience ? L'idée de la vie ne nous fait-elle pas concevoir la privation de la vie que nous appelons mort ? et ne voyons-nous pas dans la résurrection un retour à l'existence même dont nous avons la consciente ? Quel que soit le terme dont on se serve pour désigner dans une langue la résurrection, la parole fait alors pénétrer dans l'esprit le signe de la pensée, et le son aide à concevoir l'idée qu'on aurait eue indépendamment du signe lui-même. La nature met du reste à éviter la perte de ses avantages, avant d'en avoir été dépouillée, une vigilance qui tient du prodige. Quel maître a donné aux animaux l'instinct (249) d'éviter la mort, si ce n'est l'instinct même de la vie ? Qui apprend à un petit enfant le secret de s'attacher à celui qui le porte, si celui-ci fait semblant de vouloir le précipiter d'un lieu élevé? Ces idées naissent au bout d'un certain temps, mais elles devancent toute expérience analogue.