10.
Qui oserait dire de sang froid : Dieu aurait mieux fait de ne pas créer ceux à qui la malice d'autrui devait servir d'exemple salutaire, que de créer avec eux les misérables que leur iniquité devait conduire à la damnation; car il sait tout éternellement? Ce raisonnement, en effet, revient à dire qu'il vaudrait mieux avoir refusé l'existence à celui qui, mettant à profit les défauts d'autrui, reçoit par la grâce divine la couronne immortelle, que de l'avoir donnée au méchant à qui ses fautes attirent un juste châtiment. Or, quand un raisonnement invincible prouve que deux biens ne sont point égaux entre eux, et que l'un est plus parfait que l'autre, les esprits peu philosophes veulent les identifier, sans s'apercevoir qu'ils en retranchent un; par conséquent, ils diminuent le nombre des biens, en confondant leurs variétés : l'importance exagérée qu'ils donnent à une espèce leur fait supprimer l'autre, Qui pourrait s'empêcher d'éclater, s'ils en venaient à dire sérieusement : La vue est supérieure à l'ouïe : donc l'homme devrait avoir quatre yeux et point d'oreilles ? Eh bien ! étant établi qu'il existe une créature intelligente soumise à Dieu, sans avoir à craindre ni orgueil, ni châtiment, tandis que la créature humaine a besoin, pour apprécier les bienfaits de Dieu, « pour ne pas s'enfler d'orgueil et pour demeurer dans la crainte 1, » de voir le châtiment; est-il un homme sensé qui veuille confondre ces deux classes d'êtres, sans s'apercevoir immédiatement qu'il supprime la seconde pour ne conserver que la première? Un tel raisonnement supposerait un défaut absolu de logique et de bon sens. Dès lors pourquoi Dieu n'aurait-il pas créé les hommes dont il prévoyait la malice « si, voulant montrer sa juste colère et faire éclater sa puissance, il a laissé subsister dans sa grande patience les vases de colère qui étaient préparés à la destruction, afin de montrer toutes les richesses de sa gloire sur les vases de miséricorde qu'il a préparés pour sa gloire 2? C'est à ce titre que celui qui se glorifie se glorifie dans le Seigneur 3 : » il reconnaît en effet que ce n'est pas de lui, mais du Seigneur, que dépendent à la fois et son être et son bonheur.