52.
L'âme est souvent dupe des images, non parce qu'elles sont fausses, mais par ce qu'elle se fait illusion à elle-même : elle prend l'apparence pour la réalité, ce qui est un faiblesse d'esprit. On se trompe donc en croyant que ce qui se passe dans les sens se passe aussi dans la réalité : par exemple, quand on est sur l'eau on croit avoir marcher les objets immobiles sur le rivage; les astres en mouvement dans le ciel sont immobiles pour les yeux; quand les rayons visuels sont trop divergents, on voit deux flambeaux, un bâton dans l'eau paraît brisé: il y a mille exemples de ce genre. Une autre illusion consiste à identifier les objets qui ont même couleur, même son, même odeur, même saveur ou qui font la même impression au toucher: une drogue en cire jaune fondue dans une marmite ressemble à un légume ; une voiture qui passe produit l'effet du tonnerre; si on flaire une certaine plante, fort goûtée des abeilles, sans être averti par les autres sens, on croit aspirer le parfum du citron; tout aliment doux parait apprêté au miel; un anneau palpé dans les ténèbres, semble d'or, et .il est de cuivre ou d'argent; des images, qui assaillissent l'âme soudainement, la troublent et lui font croire qu'elle rêve comme dans un songe. Aussi faut-il dans toutes les visions sensibles, appeler les autres sens en témoignage et surtout recourir au contrôle de la raison, afin do découvrir ce qu'elles contiennent de vrai, autant qu'on le peut en pareille matière. Dans les visions spirituelles, l'âme se trompe en prenant les images pour les corps, ou bien en attribuant aux corps, sans les avoir vus, des qualités qu'elle avait imaginées sur de vagues et fausses conjectures. La vision rationnelle seule est incompatible avec l'erreur : car si l'on comprend, on est dans le vrai, si l'on n'est pas dans le vrai, on ne comprend pas : de là vient qu'il est fort différent de se tromper sur ce que l'on voit ou de se tromper parce qu'on ne voit pas.