XIX. (Ib. XI, 21-23.)
Moïse a-t-il manqué de confiance en Dieu ? — « Moïse lui dit : Il y a six cent mille hommes de pied, dans ce peuple au milieu duquel je suis ; et vous dites : Je leur donnerai de la chair, et ils en mangeront pendant tout un mois. Faudra-t-il égorger les brebis et les boeufs, afin qu'il y en ait assez pour eux ? ou ramassera-t-on tous les poissons, pour qu'ils en aient suffisamment ? » On demande ordinairement si Moïse parle ici én homme qui doute, ou en homme qui interroge. Si nous admettons que son langage est inspiré par la défiance, alors se présente cette question : Pourquoi Dieu ne lui en fait-il pas un reproche, comme il le reprit d'avoir semblé mettre en doute sa toute-puissance, auprès du rocher d'où l'eau sortit 1? Si au contraire nous disons qu’il a voulu demander à Dieu la manière dont s'accomplirait ce prodige, la réponse du Seigneur, formulée dans les termes suivants: « La main du Seigneur ne pourra-t-elle y suffire 2 ? » semble renfermer un reproche adressé à la foi de Moïse. Mais si Dieu lui fit cette réponse, je crois plutôt que c'était dans le dessein de lui cacher ce qu'il voulait savoir, c'est-à-dire la manière dont ce fait arriverait, se réservant de montrer à l'oeuvre sa toute-puissance. Lorsque Marie s'exprimait en ces termes : « Comment cela se fera-t-il, puisque je ne connais point d'homme 3 ? » des langues mauvaises auraient pu aussi objecter qu'elle avait manqué de foi ; tandis qu'elle demandait à Dieu le moyen dont il se servirait, sans pour cela mettre en doute , sa toute-puissance. Quant à la réponse qui lui fut adressée : « Le Saint-Esprit viendra en toi, et la vertu du Très-Haut te couvrira de son ombre 4, » elle pouvait, sans que rien fût changé au sens, se formuler comme dans le cas présent: Cela est-il impossible à l'Esprit-Saint, qui descendra en toi ? Au contraire Zacharie fut repris de son manque de foi, pour avoir tenu un langage semblable, et, en punition de sa faute, il fut privé de la parole 5. Pourquoi ? si ce n'est parce que Dieu juge les coeurs, et non les paroles.
Ainsi, les paroles de Moïse, au moment où il fit sortir l'eau du rocher, pourraient trouver une excuse, si nous ne savions clairement par Dieu lui-même, qu'elles étaient l'expression d'un doute. En effet, voici ces paroles: « Ecoutez-moi , incrédules : Ferons-nous sortir pour vous de l'eau de cette pierre? » Et ensuite: « Moïse, ayant levé la main, frappa deux fois la pierre avec la verge, et il en sortit une eau abondante, et le peuple en but ainsi que leurs troupeaux 6. » C'est pour cela, sans aucun doute, qu'il rassembla le peuple; c'est pour cela qu'il prit la verge, instrument de tant de miracles entre ses mains; il en frappa la pierre, et l'effet miraculeux fut produit comme à l'ordinaire. Ces mots, dans la bouche de Moïse : « Ferons-nous sortir pour vous de l'eau de la pierre? » pourraient donc s'interpréter en ce sens : Vous ne croyez point qu'il soit possible de tirer de l'eau de cette pierre; eh bien! en frappant le rocher, je vais vous montrer que ce que votre incrédulité regarde comme impossible, peut se faire par la puissance divine. Ne venait-il pas de leur dire: « Ecoutez-moi, incrédules ? » Tel est effectivement le sens qu'on pourrait donner aux paroles de Moïse, si Dieu, qui voit au fond du coeur, ne nous avait révélé dans quel esprit elles furent prononcées. Mais l'Ecriture ajoute : « En même temps le Seigneur dit à Moïse et à Aaron : Parce que vous n'avez pas cru en moi et ne m'avez pas glorifié en présence des enfants d'Israël, pour cette raison vous n'introduirez point ce peuple dans la terre que je leur ai donnée 7. » On comprend dès lors le sentiment qui inspira les paroles de Moïse : il frappa le rocher, mais avec une certaine défiance ; l'effet miraculeux venait-il à manquer? on devait croire que le prophète l'avait annoncé, quand il disait: « Ferons-nous sortir de l'eau de cette pierre? » et cette faute serait demeurée dans le secret de son âme, si Dieu n'eût porté contre elle un arrêt de condamnation. Ici; au contraire, nous devons croire que Moïse ne douta point de l'accomplissement de la promesse divine, mais qu'il demanda seulement la manière dont elle s'accomplirait : Dieu, en effet, ne le punit point en cette circonstance, mais il lui fit plutôt une réponse instructive.